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des consciences. L’exaltation du croyant irrité ne connaîtra plus de frein. Puisque la religion nouvelle ne jaillit point du foyer des âmes embrasées, c’est qu’un obstacle l’arrête ; quel obstacle ? L’immense réseau des vieilles croyances, des habitudes séculaires, entamé çà et là par les doctrines du XVIIIe siècle, mais si vite raccommodé dans l’ombre. Eh bien ! brisez-le, déchirez les mailles du filet et jetez-au feu ces derniers débris d’un régime condamné à mort. Catholicisme, protestantisme, tout ce qui empêche la foi meilleure d’éclater, de rayonner, d’illuminer le monde futur, faites-le disparaître à jamais. Alors s’épanouira naturellement la religion de l’ère nouvelle ; non pas la triste religion ! sortie du stérile cerveau d’un rhéteur, mais la religion ample et cordiale sortie du fond même de la nature humaine, de cette nature humaine et divine tout ensemble, délivrée enfin de sa longue servitude. Frappez donc, Dieu le veut :

Frappez et Tyriens et même Israélites.
Ne descendez-vous pas de ces fameux lévites…

En vérifié, on se prend à répéter le cri du poète inspiré de la Bible quand on lit ces pages de M. Quinet. L’ivresse sacrée lui est montée au cerveau. Que nous sommes loin du XIXe siècle ! L’auteur nous transporte au temps de Moïse. C’est Moïse qu’il invoque, c’est l’exemple de Moïse qu’il voudrait voir se renouveler parmi les hommes de 89. Tous ceux qui, comme le prophète terrible, ont mis les épées hors des fourreaux pour l’extirpation des faux dieux apparaissent à son imagination belliqueuse. Il les salue, voici les guidés qu’il faut suivre. Salut aux vengeurs de Jean Huss ! salut aux compagnons de Marnix !

Il oublie que ce sont surtout les persécuteurs des consciences qui ont employé le fer et la flamme ; il oublie que plus on approche des temps modernes, plus ces violences sont rares, et que c’est par la foi, par le dévouement, par l’affirmation convaincue d’une vérité supérieure, non par le sang de l’ennemi injustement versé, que les croyances nouvelles se sont établies dans le monde. Comment a-t-il pu dire, comparant les chefs de la révolution aux chefs de la réforme : « Si le XVIe siècle l’eût pris sur ce ton-là, il n’eût pas gagné une paroisse ? Un novateur commande, impose, foudroie ; il ne disserte pas. » Est-ce que les bûchers de Genève ont jamais été des représailles ? Étaient-ce des partisans de l’église romaine que les réformateurs condamnaient au feu pour venger leurs frères de France et d’Espagne ? Non certes ? c’étaient des protestans, mais des protestans dans le faux sens de ce nom suivant Calvin, des protestans qui auraient donné à l’Europe une fausse idée de génie de