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l’ont souillé en des âges de ténèbres, que sera-ce ? Tâchez de voir clair au fond de votre cœur. Cette foi nouvelle que vous semblez posséder, il faut l’annoncer aux hommes. Les plus audacieux critiques de nos jours, les écrivains qui ont poussé à ses dernières limites le travail dissolvant de l’exégèse contemporaine, sont forcés de reconnaître que le christianisme est la religion par excellence, la religion suprême, la religion pure, et qu’au-dessus d’elle il n’y a rien. Pour vous, qui avez plus que nul autre vécu dans l’atmosphère embrasée de la révolution, si vous croyez que cet enthousiasme de tout un peuple recelait les germes d’une révélation religieuse, c’est à vous de parler. Montrez-nous dans la révolution un élément, un seul, qui ne soit pas contenu depuis deux mille ans dans l’Évangile ; sinon, cette bonne nouvelle que vous reprochez à la France de 89 de ne pas avoir affirmée, on dira que vous l’ignorez vous-même.

M. Quinet l’ignore si bien qu’il la demande à tous les acteurs du drame, à ceux-là mêmes qui étaient les plus étrangers à un tel ordre d’idées, et que cette sommation, s’ils eussent pu l’entendre, eût frappés de stupeur. Naïve préoccupation de cette âme enivrée des sentimens les plus nobles ! il demande une religion nouvelle à ce Mirabeau dont il a dénoncé impitoyablement les intrigues, les défaillances, les trahisons, et qui, malgré tant de services immortels, apparaît dans son livre comme la corruption même. Il la demande à ce Robespierre que la corruption de Mirabeau va faire appeler par contraste l’incorruptible, à ce Robespierre dont la première inspiration (M. Quinet le prouve admirablement) est la peur, dont le génie politique est une méfiance sans bornes née d’un immense effroi, dont la seule force est l’imagination convulsive du visionnaire, qui ne sait qu’une chose, dénoncer, dénoncer toujours. Étranges apôtres que de tels hommes ! Et quand le dictateur de 93, après tant de sang versé sur les échafauds, essaiera de donner à la révolution ce culte religieux qui lui manque, ah ! quelle pauvreté ! quelle platitude ! Accoutumée aux spéculations sublimes, l’âme de M. Quinet en éprouve un soulèvement de dégoût.

Comment se fait-il qu’un penseur de si haut vol n’ait pas senti ce qu’avaient de singulier de pareilles sommations adressées aux fils de Voltaire et de Rousseau ? C’est précisément la sublimité de ses pensées qui l’égare. Il ignore, ai-je dit, quelle révélation religieuse doit jaillir de l’enthousiasme révolutionnaire ; mais il y croit, et, jugeant d’après lui-même ces hommes d’un tempérament si différent du sien, il leur fait un crime de leur insouciance sur le point qui est à ses yeux l’objet fondamental. De là les démentis soudains qu’il va donner à ses principes de liberté, de justice, de respect