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d’esprits éminens qui ont raconté ses actes, expliqué ses doctrines, justifié ses fautes, glorifié ses conquêtes, en connaissez-vous un seul qui l’ait plus tendrement aimée, plus religieusement servie que l’ancien orateur du Collège de France ? Y en a-t-il un pourtant qui eût osé écrire des paroles comme celles-ci : « On a toujours dit que le plus beau spectacle est celui d’une âme qui résiste à la violence d’un monde ? Qui a donné ce spectacle, si ce n’est Louis XVI, seul, sans autre abri que quatre grenadiers dans l’embrasure d’une fenêtre, tenant tête à un peuple entier prêt à l’écraser ? Ou ce que nous avons répété toute notre vie de la majesté de l’âme aux prises avec le plus fort n’est qu’un mot, ou il faut savoir reconnaître que Louis XVI fut ce jour là plus grand que ce monde déchaîné contre lui et qui ne put lui arracher un désaveu. Qu’est-ce qui lui donna la force de résister ainsi à la violence de tout un peuple ? Sa croyance. »

Ces questions de conscience dominent tout dans le livre de M. Quinet ; les premiers des acteurs à ses yeux, ce sont les croyans. Quel hommage à la pensée religieuse, quel besoin d’une foi positive chez ce tribun de la révolution qui en vient à faire de Louis XVI une des plus grandes figures de son tableau ! Je ne puis me dispenser de citer encore la page où l’auteur raconte les derniers momens du roi déchu. C’est M. Quinet lui-même que je cherche en rassemblant ces témoignages. Il faut voir de près l’idéal qu’il s’est fait de la sainteté de la révolution, si l’on veut comprendre les emportemens de son âme à l’heure où il s’apercevra que cet idéal sublime lui échappe. Voici donc l’adieu qu’il adresse au représentant couronné de l’ancien régime, et cela, notez-le bien, au nom même de cette révolution dont il entretient en son cœur les inspirations les plus pures. « Pendant que toute une nation se déchaînait autour de la prison du Temple, un seul homme était calme et semblait étranger à la tourmente : c’était le prisonnier. Rien ne marquait plus en lui le roi que l’indifférence souveraine au milieu des outrages, car on lui avait ôté jusqu’à son nom. On l’appelait Louis Capet, comme si on eût aboli par là le souvenir de ses ancêtres. Jamais on ne surprit en lui un moment de trouble ; pourtant il ne pouvait se faire illusion sur son sort. Aucune réponse barbare, même celle de Jacques Roux : je suis ici pour vous conduire à l’échafaud, ne put le faire sortir de cette mansuétude qu’il dut à sa piété sincère. Il lisait Tacite et la Vie de Charles Ier, qui lui montrait d’avance le chemin du supplice. Il enseignait le latin à son fils ; il méditait, il priait dans une petite tour, quand il pouvait se dérober quelques instans aux regards de ses gardiens. Jamais plus grande paix au milieu d’une plus grande tragédie ; ce calme, qu’on ne pouvait concevoir, ajoutait à la haine. Était-ce un sage, un