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parchemins, l’égalité se fonde, la révolution civile est consommée ; qu’est-ce que cela tant que la révolution politique est à faire ? qu’est-ce que ces résultats matériels tant que le bien spirituel par excellence, la liberté, c’est-à-dire la participation de chacun aux intérêts de tous, n’est pas venue effacer les traces de l’antique servitude et créer l’homme moderne ? M. Quinet a beau parler de ces choses avec l’accent du tribun, il en parle bien plus encore au nom de la pensée religieuse et morale qui est l’inspiration de toute sa vie. Singulier tribun qui, au lieu de passionner la foule en faisant appel aux instincts mauvais, s’est toujours préoccupé de la régénération individuelle ! Bossuet a dit un jour que la vraie fin de la politique était de « rendre la vie commode et les peuples heureux. » C’est que les plus grands hommes, malgré la supériorité du génie, ne franchissent guère les limites du monde moral où le sort les a placés. Éclairé par les changemens immenses qui nous séparent du théoricien de la monarchie absolue, le critique de la révolution française obéit à une pensée bien autrement élevée quand il écrit ces mots : « Il est certain que dans un siècle les hommes seront mieux nourris, mieux couverts, mieux vêtus, plus facilement transportés. Ils posséderont, à n’en pas douter, ce qu’ils appellent une meilleure vie animale : à moins d’un cataclysme, rien n’empêchera ce progrès ; mais cette chose divine, la dignité, compagne de la liberté, il faut qu’ils la méritent pour la posséder. C’est folie de croire qu’elle les visitera sans qu’ils fassent un pas vers elle. » Mériter la liberté, grande parole dans la bouche d’un tribun, parole sévère et bien inattendue, si ce tribun n’est pas surtout un censeur inspiré par sa foi ! Je ne m’étonne pas que la plupart les amis politiques de M. Quinet le considèrent comme une âme chimérique et dangereuse ; il les dépasse de cent coudées, et, brisant avec les vieilles routines, il transporte les questions dans les sphères qu’il habite.

Voilà, entre tant de mérites, la sérieuse originalité de ce livre. L’auteur ne m’intéresse pas moins que les sujets dont il s’occupe. Ce rêveur audacieux qui dérange tous les systèmes, ce critique de la révolution si élevé, si austère, si soucieux de la rénovation individuelle, n’a pas tort, après tout, de croire si ardemment à la révélation religieuse qu’il annonce. Moi-même, en l’écoutant, je commence à soupçonner que ce n’est pas absolument une chimère. Le Dieu qu’il cherche, et dont il ne sait pas encore se rendre compte, ne serait-ce pas simplement l’idéal de la révolution, cet idéal que nul peut-être n’a conçu d’une manière plus pure, plus désintéressée, précisément parce que l’auteur d’Ahasvérus, de Napoléon, de Prométhée, est bien plutôt un poète qu’un esprit politique ? L’idéal de la révolution chez M. Edgar Quinet, c’est l’ensemble des instincts