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la veille du 14 juillet ! « C’était la première fois que les Français avaient pu concentrer leurs espérances dans un simple citoyen… Les Français se donnèrent la joie d’aimer, de regretter, d’idolâtrer Necker, non pas tant à cause de sa valeur propre que parce qu’il était sorti le premier de l’ombre et de la foule des sujets. D’ailleurs il était l’image de ce bien inconnu, la liberté. » Comme il peint, sans s’y arrêter plus qu’il ne faut, les premières férocités de la foule dans l’ivresse du combat ! Et quelle heureuse inspiration de citer Saint-Just en témoignage pour dénoncer le principe de toutes les lâches vengeances, le principe du terrorisme futur, c’est-à-dire la faiblesse et la servilité ! « Ainsi, s’écrie l’historien, la victoire avait tout couvert aux yeux même des plus modérés, quand au loin Saint-Just, encore ignoré, se souvenait de ces barbaries et les reprochait aux vainqueurs. Combien alors il était loin de penser au lendemain ! Le changement violent qui se faisait dans les choses se faisait aussi dans les hommes. Tous s’ignoraient au même degré. Aucun n’avait le pressentiment de l’homme qu’il portait en lui. Tel s’endormait clément et modéré qui devait se réveiller inexorable et terroriste. Il y avait une température subite, extraordinaire, qui mûrissait les hommes et les choses. » Qu’est-ce à dire ? Le terrorisme était donc contenu d’avance dans les premiers événemens de 89, et il suffisait d’une température plus brûlante pour faire éclore le germe pernicieux ? Oui, c’est bien la pensée de M. Quinet, le terrorisme était contenu d’avance dans la révolution, si la révolution, victorieuse d’une société qui s’était appuyée durant des siècles sur la persécution et la terreur, ne parvenait pas à s’élever au-dessus d’elle par une foi religieuse plus haute. Le terrorisme était inévitable, si la révolution se bornait à vaincre le passé sans créer la foi de l’avenir, car elle devait alors se trouver infailliblement entraînée à employer contre ses ennemis les armes exécrables que ses ennemis avaient tant de fois employées contre elle. Au moment même où elle abolissait les dernières iniquités de l’ancien régime, la révolution, faute d’une religion meilleure, emprunterait nécessairement à l’ancien régime l’art de convertir les âmes par la crainte du supplice. Un seul pouvoir eût préservé la France nouvelle de ce plagiat abominable, c’est celui que l’auteur appelle le Dieu nouveau.

Et comment donc M. Edgar Quinet, avec la mystique vocation que nous signalions chez lui tout à l’heure, n’aurait-il pas persisté à croire que la venue de ce Dieu était proche ? A mesure que les événemens se déroulent sous sa plume, il voit apparaître plus clairement l’âme de la révolution, l’amour de la liberté, le sentiment de la dignité morale. L’ancien ordre social s’écroule de lui-même, les vieilles distinctions s’évanouissent, la noblesse déchire ses