Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quinet. Qu’est-ce donc que M. Quinet opposait au christianisme dans ses ardentes leçons du Collège de France ? La révolution. Et ne croyez pas que ce fût chez lui déclamation ou tactique ; il était sincère comme un apôtre. Aussi le jour où il s’est aperçu enfin que ce Dieu proclamé si haut était précisément ce qui manquait le plus à son église, tâchez de vous représenter sa douleur. Ce fut une douleur digne de lui, une douleur virile et sainte, puisqu’au lieu de l’étouffer en silence, il jeta un cri d’alarme, avertissant loyalement ceux qui avaient pu le suivre. Le prêtre attaquant lui-même la religion qui a trompé sa grande âme, voilà le principal tableau de ce livre où abondent tant de figures vivantes, de scènes héroïques, de leçons formidables.

Voilà aussi le secret de ses contradictions et de ses injustices. Si on ne se place pas à ce point de vue, les contradictions de l’auteur seraient vraiment inexplicables, car elles seraient trop choquantes ; les injustices n’auraient pas d’excuse, car elles jureraient trop violemment avec l’impartialité magistrale qui a dicté les meilleures pages du livre. Injustices ou contradictions, prenez-les comme les cris de cette âme avide du Dieu qu’elle appelle, aussitôt tout s’explique. M. Edgar Quinet demande à la révolution bien plus qu’elle ne pouvait donner ; n’est-ce pas encore un hommage au génie de cette terrible époque, et peut-on dire que l’auteur a renié sa foi lorsque le sentiment du divin lui inspire, avec des jugemens si altiers, de si généreuses colères ? Au fond de cette œuvre qui semble déborder d’amertume et exhaler le désespoir, il y a une espérance invincible. C’est là ce qu’il faut montrer.


I

Dès les premières pages du livre de M. Edgar Quinet, on voit apparaître le peintre tragique, le penseur austère et bientôt aussi le croyant de la révolution. L’art, la pensée, la foi, tels sont les trois élémens de cette œuvre où éclatent des richesses de tout ordre. Et d’abord quelle heureuse distribution des événemens ! quel art de grouper les scènes et les personnages ! C’est véritablement une ordonnance souveraine. Le premier livre, intitulé les Vœux, est comme le prélude d’un oratorio. Les principales idées, qui vont bientôt prendre un corps, s’animer et combattre, se détachent déjà du sein de ce murmure immense qui précède les révolutions irrésistibles. Quand l’auteur, embrassant d’un regard et résumant d’un trait les destinées si complexes de notre pays à la veille de la grande catastrophe, nous montre deux Frances distinctes en présence l’une de l’autre, d’un côté la France du moyen âge, de l’autre la France de la philosophie, il fait pressentir par cela seul le caractère