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l’inévitable image de celui qui a vaincu les dynasties du vieux monde. Loin de s’en effrayer, il en pousse un cri de joie, « car la terre s’ennuie » depuis que cette image s’est voilée. Consacrée par la gloire, la révolution n’en accomplira que mieux ses destinées, et la France, replacée à son rang, sera le centre du genre humain : « France sans peur, nid de courage et non pas de couardise, demain et toujours faites tourner autour de vous la ronde des nations sous l’harmonie de votre ciel. »

Quand on rapproche ces pages écrites il y a un tiers de siècle de celles que M. Quinet a publiées hier, quand on compare les intermèdes d’Ahasvérus à ce livre sévère et puissant intitulé la Révolution, ce ne sont pas seulement deux ordres d’idées qui se trouvent en présence, la poésie d’une part, de l’autre la philosophie, ici le disciple inspiré de Jean-Paul, là un émule de Montesquieu ; ce ne sont pas même deux périodes de la vie, l’adolescence et la virilité, la confiance ingénue et l’expérience amère : j’aperçois ici un contraste bien autrement expressif et qui tient au caractère même de M. Edgar Quinet, à sa conscience religieuse, à l’originalité de toute sa vie. Le poète d’Ahasvérus a beau gémir en 1832 de ce qu’il appelle l’abaissement de la France, une foi ardente l’anime, et c’est au nom de sa foi qu’il dit à ses concitoyens : Levez-vous ! Au contraire l’auteur de la Révolution semble désespérer du génie de sa race, et il ne lui reste plus qu’à expliquer à ses frères le secret de leur impuissance. D’où vient cela ? Est-ce simplement que les épreuves de la vie ont donné au poète juvénile des pensées plus précises, qu’il a su enfin distinguer ce qu’il confondait naguère, que libéralisme et démocratie ne sont plus à ses yeux des termes synonymes, que l’amour sérieux des principes a succédé chez lui à l’idolâtrie de la France ? Il y a chez l’éminent écrivain quelque chose de plus profond et de plus particulier. M. Quinet est une âme sacerdotale, et la religion dont il a été le prêtre pendant bien des années, c’est la révolution ; vaguement d’abord, avec plus de précision ensuite, il s’est fait de la révolution un culte : Dieu est vraiment là, s’est-il dit ; au Dieu qui m’appelle et que je ne connais pas encore, je veux consacrer ma vie : Deo ignoto. Ce Dieu inconnu, M. Quinet l’a aimé, adoré, servi comme un lévite. Par l’élévation, par la gravité ascétique de son génie, il était seul sur ce terrain. La révolution a encore des adorateurs stupidement fanatiques, elle a des défenseurs intelligens qui font la part du bien et du mal, elle a dans le monde entier des millions d’adhérens qui revendiquent ses principes et ne les laisseront pas périr ; mais un croyant, un disciple inspiré, voyant en elle une révélation divine et s’appliquant à dégager cette bonne nouvelle afin de régénérer le monde sans foi, la révolution n’en a eu qu’un seul : c’est M. Edgar