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lieu révéré, car à cette époque quiconque portait une robe noire avait un pouvoir despotique. Ces moines campèrent donc sur la place du Sérapéum, et alors, au lieu des dieux de la pensée, on vit des esclaves et des criminels obtenir un culte ; à la place des têtes de nos divinités, on montrait les têtes sales de misérables repris de justice ; on mettait un genou devant eux et on les adorait. On appelait martyrs, diacres et chefs de la prière des esclaves infidèles déchirés par le fouet et tout sillonnés des marques de leurs crimes. Tels étaient les nouveaux dieux de la terre. » On comprend que ce flot de colère et de verve envenimée jaillisse du cœur d’un vaincu, froissé dans ses convictions les plus intimes, qui n’a qu’une plume pour plaider sa cause, et qui se sert à outrance de cette arme unique. Au reste, si l’on en croit Rufin, les païens avaient provoqué ces rigueurs extrêmes. Un certain Tyrannus avait, par une conduite licencieuse, révolté même ses coreligionnaires. Exclus d’un de leurs temples, les païens avaient assailli les chrétiens et en avaient tué plusieurs. Toutefois, d’après le même Rufin, le principal grief fut encore ici la magie et la théurgie, et c’était moins la sédition que le polythéisme que l’on voulait détruire en rasant le Sérapéum, origine et berceau des démons païens ; quem locum velut fontem quemdam atque originem dœmonum…. venerabantur pagani.

Les biographes de l’école néoplatonicienne, postérieurs à Eunape, nous apprennent qu’au Ve siècle la persécution contre les philosophes et les païens, quoique intermittente, continua néanmoins et eut de tristes redoublemens. On sait par Marinus qu’un orage de haines et de vexations força Proclus de fuir Athènes et de s’exiler en Asie pendant un an ; on sait aussi que les écoles d’Athènes furent fermées par Justinien, les professeurs dispersés, leurs propriétés et dotations confisquées. Une foule d’historiens ont décrit la scène sanglante où périt à Alexandrie, écrasée à coups de pierre, mise en pièces par la populace et enfin brûlée, la belle, chaste et savante Hypatie, dont le crime unique était l’immense succès de son enseignement. Quel fut le résultat de ces violences ? Ceux qui y échappaient ne s’enfonçaient que plus avant dans les croyances que la persécution leur rendait plus chères et plus sacrées. Une barrière de rancunes et d’inimitiés implacables se dressait entre les nouveaux croyans et les philosophes. Ceux-ci cependant avaient conservé le trésor des traditions et de la science grecque ; c’étaient encore des penseurs. Un peu épargnés, simplement tolérés à Athènes, moins intimidés à Alexandrie et ailleurs, ils auraient pu être plus tard et insensiblement conquis. Leurs doctrines spiritualistes, la pureté de leur morale, leur amour de la vertu, les rapprochaient de la foi nouvelle. Avec le temps, n’auraient-ils point été frappés du