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Constantin, ce fut le tour des païens d’être fréquemment atteints dans les monumens de leur culte national, dans la pratique de leurs rites, dans leurs personnes mêmes, comme dans l’exercice de l’enseignement philosophique.

On se tromperait en s’imaginant que les empereurs fussent à leur aise en présence de peuples d’origines différentes, animés les uns contre les autres des passions les plus ardentes qui puissent enflammer des âmes humaines. En dépit de leur immense pouvoir, ils étaient loin de faire ce qu’ils voulaient. On commençait sagement quelquefois ; on était entraîné à finir d’une façon tyrannique. Constantin, dont Eunape se plaindra tout à l’heure avec la dernière amertume, avait eu des momens de tolérante équité. Son édit de Milan est célèbre. Dans cette pièce, que reproduit l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe, on lit ces belles paroles : « Nous concédons aux chrétiens et à tous autres la liberté de suivre la croyance religieuse de leur choix… Qu’il soit permis à chacun de vouer son âme à la religion qui lui convient,… car il importe manifestement à la paix de notre temps que chacun, dans les choses divines, se puisse conformer à la règle qui lui paraît bonne. » On ne dirait pas mieux aujourd’hui, puisque cette loi prend en considération autant les droits de la conscience que les nécessités de la tranquillité publique. Un autre édit, non moins libéral, vint plus tard confirmer celui-là. « Que ceux, disait l’empereur, qui résistent à la loi chrétienne gardent intacte les temples de l’erreur, puisqu’ils le veulent ; pour nous, nous habiterons la brillante demeure de la vérité que tu nous as préparée. » Ces magnifiques promesses étaient sincères sans doute, mais les actes ne tardèrent pas à les démentir. Bientôt les temples des païens furent ruinés, les autels renversés, les statues enlevées et transportées à Constantinople, où elles servirent de décoration aux rues, aux places, aux palais. Les philosophes, aux yeux desquels ces monumens étaient les symboles de la société et de la nation grecques, et qui avaient identifié, on sait comment, leurs idées métaphysiques avec leurs doctrines religieuses, gémissaient consternés ; toutefois ils restaient fidèles à leur culte. Au siècle suivant, lorsque la Minerve d’or et d’ivoire fut enlevée du Parthénon, le pieux Proclus en fut navré ; mais sa foi était si vive et si ferme, qu’au lieu de perdre courage il éleva à sa déesse chérie un sanctuaire privé dans sa propre maison.

La rigueur des temps ne détachait pas non plus les néoplatoniciens de leurs rites théurgiques. Ils se trompaient assurément en abaissant la philosophie à des opérations qui semblaient la rendre complice des misérables artifices de la foule des jongleurs ; mais ils avaient cru naïvement trouver dans leurs spéculations sur l’harmonie universelle des êtres des fondemens à leur science