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organes Plotin et Porphyre, domine la religion et s’en sert comme d’un témoin de ses doctrines, sans s’inquiéter de la servir. La seconde phase est caractérisée par un développement excessif de la théologie qui va jusqu’aux dernières limites de la superstition, quoique avec la prétention de donner une explication scientifique et surtout psychologique des pratiques extérieures les plus étranges. Cette seconde époque comprend l’histoire de l’école de Jamblique, puis celle de l’école de Pergame, qui en est la continuation et qui monte un instant sur le trône dans la personne de son disciple l’empereur Julien. Enfin, pendant la troisième et dernière époque, l’école d’Athènes rétablit l’équilibre entre la philosophie et la religion et les tempère l’une par l’autre jusqu’au jour où elles disparaissent toutes deux sous les derniers coups de la persécution. La première phase est assez connue, les deux autres le sont moins. Ce n’est pas que les savans historiens français du néoplatonisme n’aient parlé avec soin et étendue, et très pertinemment, de sa décadence ; mais, ayant adopté un plan général, ils ont dû omettre ou se borner à effleurer certains détails d’un intérêt incontestable, puisqu’ils dévoilent jusque dans les particularités de sa vie intime et jusque dans les replis de sa conscience dévote une société de penseurs et de thaumaturges mystiques qui s’est maintenue debout pendant quatre siècles en face du christianisme triomphant. Ces détails sont rapportés par Eunape dans son livre intitulé : Vies des philosophes, collection précieuse de biographies pleines de renseignemens sur une des époques les plus obscures de l’histoire de l’esprit humain. Un éminent philologue, M. Boissonnade, en publia la première édition vraiment critique à Amsterdam, en 1822. Depuis, un éditeur français en a donné, sous la direction du même savant, une belle réimpression, accompagnée d’une traduction latine[1]. Toutefois les Vies des philosophes resteraient ignorées en dehors du cercle des hommes spéciaux, si M. Cousin ne les eût lancées dans le courant de la curiosité sérieuse en les associant à la destinée cinq fois heureuse de ses Fragmens. Rien qu’à lire les morceaux qu’il en a résumés ou traduits, on a sous les yeux un spectacle de l’attrait le plus vif. Et lorsque, stimulé par le désir d’en connaître davantage, on ouvre Eunape lui-même, on trouve, parmi des longueurs, des puérilités et des divagations fastidieuses, on trouve, dis-je, certaines pages d’une grâce inattendue, certains tableaux d’un coloris sombre et sinistre, certains accens de colère ironique ou de douleur contenue qui rendent présente au lecteur l’âme des derniers enfans du paganisme alternativement vainqueurs

  1. Philostratorum, Eunapii, Himerii opera, Parisiis, editore Ambrosio Firmin Didot, 1840.