Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avaient conservé la plupart des dogmes de la religion nationale en les transformant. De leur côté, les orthodoxes, en persécutant les penseurs, avaient voulu sauver une théologie qu’ils tenaient pour vraie et durable. De part et d’autre, et malgré de tristes conflits, on restait donc attaché à la foi nationale, et l’on s’efforçait de garder ouvertes les sources du sentiment religieux. Ce qui prouve que ces sources étaient vives encore, c’est que les idées qu’elles alimentaient résistèrent à l’action mortelle de l’épicuréisme, du probabilisme, du scepticisme enfin. La sève, quoique affaiblie, continua de circuler dans les fibres du vieil arbre toujours debout, et deux siècles après Jésus-Christ le monde la vit fermenter tout à coup, puis, réchauffée par un souffle de l’Orient, produire de nouveaux fruits. Ces fruits, quels furent-ils ? C’est encore l’histoire de la philosophie unie à l’histoire de la mythologie qui va nous les faire connaître en nous racontant une nouvelle transformation ou plutôt un essai de complète restauration de la théologie païenne.


II

L’école d’Alexandrie, c’est le monde antique embrassant désormais l’Égypte, l’Orient et la Grèce, et qui, menacé dans son existence, refuse de mourir et concentre en son cœur, c’est-à-dire autour de la pensée grecque, tout ce qu’il possède encore de force, de chaleur et de vie. Ce qu’il y avait eu de plus vivant dans le vieil univers, c’avait été la religion et la philosophie : les alexandrins entreprirent, d’abord par un élan d’inspiration et sans une conscience très nette de leur tentative, puis de dessein prémédité et avec une obstination calculée, de ramener à l’unité, au moyen de la science, les systèmes de philosophie et les religions. Pour y réussir, ils s’appuyèrent d’une part sur l’éclectisme, qui leur permettait de rapprocher les doctrines en apparence les plus contraires, et d’autre part sur l’interprétation mythologique, qui leur découvrait dans tous les dogmes et dans tous les cultes les élémens métaphysiques de leurs théories. Leur façon de comprendre la Divinité ouvrait d’ailleurs la porte à un polythéisme épuré. Dieu, d’après eux, était l’unité absolue, mais de cette unité sortaient, par voie d’émanation, des puissances inférieures qui, s’échelonnant les unes au-dessous des autres jusqu’aux derniers êtres, répondaient aux dieux, aux démons, aux héros du polythéisme, reproduisaient, en les rajeunissant, les élémens de la religion grecque et rendaient possibles les communications directes de l’homme avec les puissances invisibles. Ce long effort de transformation présente trois phases bien distinctes. Pendant la première, la philosophie, ayant pour