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beaucoup d’autres. Il avait une école et un parti qui étaient allés grossissant de jour en jour. Tous ceux qui, rebutés par la superstition ignorante et grossière, aspiraient à des croyances plus dignes étaient au fond ses alliés. Ce parti existait, puisque Aristophane et Euripide avaient pu, le premier dans ses comédies se moquer des dieux, le second leur jeter audacieusement dans ses tragédies des reproches de la dernière violence ; mais lorsque les extravagances impies d’Alcibiade, la mutilation nocturne des statues d’Hermès, la parodie cynique des mystères d’Eleusis, eurent exaspéré les dévots du polythéisme, lorsque l’excès et la durée des calamités publiques, l’issue de la guerre du Péloponèse, les désastres de Sicile, la tyrannie épouvantable des trente eurent consterné les âmes et effrayé les consciences, il se produisit, comme toujours dans les circonstances pareilles, une réaction religieuse. À ces momens critiques, les opinions modérées succombent infailliblement. L’occasion était favorable, les adversaires de Socrate la saisirent ; toutes les haines que ce libre censeur de la démagogie, de la sophistique, de la superstition, avait accumulées sur sa tête éclatèrent à la fois. On ameuta contre lui les ressentimens personnels, on fouilla dans le passé, on chercha dans une comédie qui datait de vingt-quatre ans une arme qu’Aristophane y avait déposée, sans animosité, dans un jour de verve, et cette arme, on l’envenima. Les esprits cependant avaient si évidemment marché, depuis un quart de siècle que, sur 556 juges, 275 votèrent en faveur de Socrate. Il ne lui manqua que 3 voix pour obtenir l’égalité des suffrages et être absous. En présence de ces faits et de ce vote, je m’étonne moins que M. Grote de la tardive condamnation du philosophe. Sa doctrine religieuse, quoique hétérodoxe, ou plutôt à cause de cela même, répondait à un besoin réel des esprits et lui avait créé des partisans et des complices. Avec un peu de condescendance, il eût obtenu sa grâce ; mais à quoi bon ? Sa tâche était finie, la philosophie religieuse était fondée, les progrès en étaient assurés. Il prit l’attitude d’un maître, poussa volontairement ses juges à bout et acheta au prix de sa vie cette liberté d’examen qui ne fut, il est vrai, jamais nommée en Grèce ni inscrite dans les lois, mais dont il fut permis à Platon d’user après lui au grand profit des croyances fondamentales de sa patrie et de l’humanité.

Platon est l’expression suprême du génie grée. En lui s’élèvent au plus haut degré de puissance et de fécondité et s’accordent dans une harmonie admirable toutes les forces intellectuelles de son pays. De même dans son œuvre se coordonnent et s’organisent avec un parfait équilibre les divers élémens poétiques, moraux, philosophiques et surtout religieux dont l’âme de sa patrie était formée. Cet art supérieur du politique qui consiste, non à détruire