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lieux ; Mercure lui avait communiqué le don de se rappeler ses existences antérieures, et cette réminiscence, Pythagore savait la réveiller chez ses disciples. Les Crotoniates le divinisèrent sous le nom d’Apollon hyperboréen. C’était donc un thaumaturge, un prêtre, un théosophe ; mais c’était aussi un homme vertueux, un grand esprit, et rien n’autorise à douter ni de sa bonne foi ni de son indépendance. Il fut crédule, mais il avait du courage, puisqu’à une époque où les mythes populaires jouissaient d’un crédit absolu il en attaquait résolument les absurdités. La tradition a conservé un trait curieux de sa polémique contre les poètes sacrés : il disait qu’étant descendu aux enfers, il avait vu l’ombre d’Hésiode enchaînée à une colonne d’airain et grinçant des dents, et celle d’Homère pendue à un arbre et entourée de serpens, en punition du mal que l’un et l’autre avaient débité sur le compte des dieux. Ces dieux néanmoins, il n’en retranchait que les passions et les misères, mais il les conservait tous, sauf à en purifier la notion à sa manière et à les subordonner au pouvoir d’un Dieu suprême qu’il nommait la Monade. Au-dessous de ce nombre divin s’échelonnaient Zeus, Apollon, Artémis, Aphrodite, Athéné et Poséidon, répondant chacun à l’un des premiers nombres. Il reconnaissait l’existence des démons et des héros, enseignait la métempsycose, recommandait la prière, pratiquait la divination, offrait des sacrifices ; mais à ces croyances, à ce culte plus ou moins antiques, il mêlait quelque chose de moral, de pur, d’élevé, de scientifique, qui rendait sa philosophie très religieuse, sa religion philosophique, et qui permettait aux âmes intelligentes d’unir la pensée à la foi. Si l’institut pythagorique fut une pépinière de savans, de géomètres, de métaphysiciens, ce fut aussi un séminaire de théologiens et de croyans, trop mystiques peut-être, mais austères et pieux.

La polémique dirigée contre la mythologie populaire avait, dans l’école de Pythagore, comme on vient de le voir, un caractère essentiellement grave et religieux. Telle elle demeura longtemps après sans aucun mélange d’indécente ou même de légère ironie. Rien n’y perçait qui ressemblât au rire de Lucien ou aux sarcasmes de Voltaire. Chez des philosophes moins dévotement théologiens que les disciples de Pythagore, l’attaque garda jusqu’au siècle de Périclès un accent de sévérité indignée, mais solennelle. Ce que les novateurs reprochaient aux puissances célestes de l’Olympe, ce n’était pas d’être trop divines, c’était de ne pas l’être assez. Ce noble mécontentement inspira à l’Éléate Xénophane des vers d’une rude, mais frappante beauté. On ne sait pas assez quels éclairs jaillissaient parfois de ces chocs entre l’imagination crédule et la réflexion raisonneuse, quoique enthousiaste et poétique encore. De cette lutte était sortie une littérature originale et du plus grand prix, dont par