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avait reçu de la religion populaire, chantée par les poètes et connue de tous, des solutions découvertes d’instinct par la raison spontanée. De ces solutions, les unes étaient inacceptables, et la philosophie de bonne heure les rejeta ; les autres étaient vraies au fond, mais il était nécessaire de les purifier et de les démontrer : la philosophie imprima à celles-ci un caractère scientifique et les conserva. Elle fit plus : il lui arriva d’admettre dans ses cadres des conceptions qui lui paraissaient vraisemblables seulement parce qu’elle les jugeait morales, salutaires et préférables à la négation et au vide. Ainsi tantôt son attitude fut agressive et franchement destructive, tantôt au contraire elle fut affirmative, mais au nom de la science ; tantôt elle se montra tolérante et même protégea ce qu’elle se sentait impuissante à remplacer, tantôt elle tint tout à la fois et concilia ces trois conduites. On doit l’envisager sous ces aspects divers, si l’on aspire à la bien comprendre, à l’apprécier équitablement et à expliquer comment elle a pu, sans dépouiller son caractère ni renoncer à ses droits, prolonger la durée des croyances nationales. L’emploi de cette méthode large, compréhensive, impartiale, jette des clartés inattendues sur la marche intellectuelle du peuple grec. Quelques exemples vont le prouver. Trois grandes écoles ont eu au plus haut degré le pouvoir d’exciter, d’organiser et de soutenir les énergies morales de la société hellénique : ce sont le pythagorisme, le platonisme, représenté surtout par Socrate et Platon, et le stoïcisme. Ces trois écoles ont réchauffé de leur souffle la vieillesse de l’hellénisme et retardé sa mort jusqu’au VIe siècle après Jésus-Christ. Si vous négligez les rapports de la philosophie avec le polythéisme, ce fait considérable n’a plus de cause ; si vous tenez compte de ces rapports, le phénomène s’explique naturellement. En effet, Pythagore, Socrate, Platon, les stoïciens, avaient été à l’égard des croyances antiques non des destructeurs acharnés, mais des réformateurs, ou mieux encore ce que l’on nomme quelquefois, dans le langage de la politique, des conservateurs progressistes. Tout ce qui leur parut digne ou capable de vivre obtint leur respect ou leur appui, et il serait injuste de n’attribuer leur modération et leurs réserves qu’aux vulgaires calculs de la prudence ou de la peur.

L’école pythagoricienne, objet de tant de beaux travaux depuis un demi-siècle, semble être le premier anneau qui ait rattaché la tradition religieuse au libre exercice de la recherche philosophique. Le mysticisme et même une forte dose de superstition y dominèrent au début. De là ce cortège de fables qui accompagnent la biographie légendaire de Pythagore et qui font sourire la critique. Pythagore, d’après ces contes d’enfans, était fils de Mercure et même d’Apollon ; il avait le don d’apparaître au même instant en plusieurs