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Homère et à Hésiode, et que les élémens les plus précieux en ont été fournis aux penseurs par l’enseignement des mystères tantôt divulgué, tantôt interprété. Meiners, Heeren, Warburton, Hermann, adoptèrent les idées fondamentales de cette théorie en les modifiant en elles-mêmes ou dans leurs conséquences, chacun selon ses vues personnelles ; mais elle rencontra des adversaires sérieux tels que Voss et Lobeck, qui lui opposèrent, le premier son Anti-Symbolique, le second son Aglaophamus. MM. Guigniaut et A. Maury s’éloignent de l’opinion de Creuzer sans toutefois embrasser celle de Lobeck, à laquelle M. Grote donne son approbation. Or, parmi les raisons qui ont empêché le système de Creuzer de prévaloir, les plus fortes doivent être présentées ici, et ce sont les suivantes. En premier lieu, on ne saurait rapporter les mystères à une époque très ancienne, pas même à l’époque d’Hésiode. En second lieu, l’instruction des prêtres grecs ordinaires était uniquement liturgique : ce qu’ils apprenaient surtout, c’était à préparer les victimes selon le rite consacré, de telle sorte que, d’après Athénée, qui les raille, leur mérite ne dépassait guère celui d’un bon cuisinier. Quant aux prêtres des mystères, ils ne joignaient à l’initiation qu’un bref enseignement destiné à expliquer les légendes et les cérémonies, et aucun texte n’établit qu’une doctrine théologique étendue fût professée dans le sanctuaire avant ou après l’initiation. Enfin quelques théories d’un caractère vraiment philosophique ne se montrent que dans les chants orphiques ; mais ces chants apocryphes, composés par des faussaires, surtout par Onomacrite, ne datent que du temps d’Hipparque, fils de Pisistrate, c’est-à-dire tout au plus de l’an 500 avant Jésus-Christ : ils sont conséquemment postérieurs à Pythagore, dont ils reproduisent souvent les idées. Si donc la philosophie grecque est sortie des mystères, c’est qu’elle y avait au préalable pénétré, ou plutôt l’orphisme et la philosophie se développèrent en même temps après avoir puisé aux mêmes sources, et eurent des communications réciproques où le pythagorisme donna plus qu’il ne reçut. Un savant critique allemand, dont l’autorité grandira en France à mesure qu’il y sera plus connu, M. Edouard Zeller[1], s’est à peu près arrêté à cette dernière conclusion. « L’influence de la philosophie sur la théologie mystique de l’orphisme, a-t-il écrit, paraît avoir été beaucoup plus active que ne le fut par réaction l’influence de l’orphisme sur la philosophie, et quand on regarde aux détails, on en vient à douter que, tout compté, la philosophie ait fait quelque emprunt important soit aux mystères, soit à l’enseignement qu’on y donnait. »

Mais avant d’exercer cette action sur les mystères, la philosophie

  1. Die Philosophie der Griechen in ihrer geschichtlichen Enlwicklung, etc. — Erster Theil. (2e édit., p. 44.)