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été persécutée autrefois, eut, elle aussi, ses martyrs, et en supportant avec courage de nouvelles épreuves, elle prouva que, si ses anciennes forces étaient épuisées, elle avait du moins gardé celle de mourir sans capituler. Tels sont les résultats historiques mis en évidence par de récens travaux. En exposant ces trois phases de la vie du paganisme qui sont comme les trois actes d’un même drame, en insistant sur les circonstances généralement peu connues qui en furent le dénoûment, on rendrait compte d’un des progrès les plus remarquables de la science des systèmes dans ces derniers temps ; peut-être aussi ce tableau des luttes intérieures du paganisme, qui eut également ses hérétiques et ses martyrs, montrerait-il avec une clarté nouvelle et opportune que l’histoire de la philosophie, embrassée sous tous ses aspects, n’est parfois pas moins attachante que celle de la politique, et offre, autant que celle-ci, d’admirables leçons de sage indépendance, de justice envers le passé et de tolérance libérale.


I

Comment la religion grecque, malgré des erreurs, des imperfections et des lacunes qui frappent tous les yeux, a-t-elle duré plus de quinze siècles ? Comment a-t-elle non-seulement fondé et soutenu une civilisation brillante et forte, mais encore inspiré à ceux qui en ont été les guides des œuvres dont certaines n’ont jamais été surpassées, d’autres jamais égalées ? C’est là un problème d’une évidente gravité. Présenter à l’admiration des hommes la société grecque et les monumens immortels qu’elle a laissés, en faire la base de l’instruction de la jeunesse, et d’autre part accabler cette antiquité de dédains ou d’anathèmes et prétendre que ce beau fleuve est sorti d’une source impure et empoisonnée, c’est plus que de l’inconséquence, c’est une contradiction. Il a fallu, pour lever cette contradiction, toutes les forces réunies et combinées de l’érudition moderne. Deux mouvemens de vastes recherches mythologiques et philosophiques ont préparé et presque amené la solution de la difficulté. Les symbolistes et les historiens de la philosophie, en mettant en commun leurs lumières, ont reconnu que dans la religion grecque il y avait beaucoup de vérité mêlée à beaucoup d’erreur ; ils ajoutent que l’erreur est allée en s’affaiblissant, que la vérité au contraire s’est maintenue et graduellement développée, — que c’est ce fonds de vérité qui a nourri l’intelligence grecque jusqu’à l’heure solennelle où, ayant épuisé cette substance, elle a refusé d’en recevoir une autre. Voilà ce que l’on dit. Comment le prouve-t-on ? — On le prouve par des faits laborieusement amassés, rapprochés et contrôlés, d’où l’on tire tantôt des inductions