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pouvoir d’éveiller une curiosité toujours nouvelle et toujours ardente. Incrédule ou croyant, celui dont l’intelligence est capable de s’élever au-dessus de la terre et de regarder au-delà de la vie présente a lu ou lira les Confessions de saint Augustin sans consentir à quitter le livre avant de l’avoir achevé. Ami de la philosophie ou adversaire de la raison, quiconque a ressenti les angoisses du doute et a su affronter pour en sortir les mâles travaux de l’investigation personnelle cédera, dans mille ans comme aujourd’hui, à l’attrait irrésistible de ce fragment pathétique où s’est répandue l’âme de Jouffroy. Cependant, si le tableau de ces combats intérieurs est à ce point attachant lorsque l’action s’engage, se poursuit et se dénoue au sein d’une seule conscience individuelle, il ne faudrait pas croire que l’intérêt soit moins grand, la lutte moins dramatique et moins saisissante, quand il s’agit, non plus d’un penseur isolé, mais des vicissitudes religieuses d’une société tout entière. Dans ce dernier cas, il est vrai, le spectateur a besoin de se placer haut et d’avoir le regard exercé pour embrasser de vastes conflits, pour comprendre le sens et le prix des pacifications qui les terminent ou du moins les suspendent. Quoique les esprits les mieux préparés ne remplissent que rarement ces deux conditions, et malgré les souffles de frivolité qui en ce moment courbent tant de têtes du côté des œuvres insignifiantes et malsaines, il y aurait, ce semble, un sûr moyen d’accroître le nombre des lecteurs avides de connaître les rapports qui ont rattaché entre eux et à la philosophie les grands systèmes de croyances qui se sont partagé l’humanité.

Ce moyen consisterait non pas seulement à exposer le développement abstrait des idées philosophiques et théologiques, mais encore et surtout à dire quels contre-coups plus ou moins profonds, plus ou moins douloureux, chaque crise religieuse a eus dans les faits, dans les âmes, dans les cœurs, dans la vie sociale elle-même. Par exemple, en ce qui touche le paganisme, il faudrait chercher comment il s’est plusieurs fois modifié pendant toute sa durée, quelle est la force secrète qui lui a permis si longtemps de se transformer sans périr, et qui, après l’avoir porté à persécuter, l’a rendu capable de résister lui-même à la persécution. Quand on procède de la sorte, au lieu de ne présenter que l’ombre de l’histoire, on en donne la peinture colorée, vivante et vraie. En entrant dans cette voie, la science moderne, armée de son érudition précise et de ses méthodes exactes, pouvait du même coup mettre en faveur l’étude de la mythologie, dont si peu de gens soupçonnent l’importance, et fournir la juste mesure des progrès accomplis par les philosophes avant le christianisme. La science moderne l’a-t-elle fait ? Entre les jeunes symbolistes, forts du secours de la philologie comparée, mais enclins à dédaigner l’analyse psychologique, et les philosophes,