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bienfaisantes apportées à la vie primitive. Toutefois on avait fait un pas décisif dans la voie où marchent les nations occidentales.

Par une singulière coïncidence, ce mouvement vers les travaux agricoles si marqué chez les Albanais en exil se produisait non moins nettement chez les Albanais restés sur la terre natale. Aujourd’hui même c’est un des traits essentiels à noter dans la vie des Albanais orientaux. Dans la Guégarie, la culture du lin a depuis un certain temps pris un grand développement. Sur les bords de la mer, à Dulcigno et à Antivari, les oliviers se sont multipliés, et l’huile qu’on y fabrique se vend très bien en Dalmatie. Chaque année voit s’accroître la récolte de soie et de cire. L’arboriculture n’est pas négligée, et le pays produit une grande quantité de fruits, surtout de raisins qu’on pourrait transformer en vin exquis. Le blé, le maïs, le riz, l’avoine, viennent admirablement sur ce sol fertile ; une agriculture moins arriérée en tirerait d’immenses ressources, tandis que la marine trouverait dans les forêts d’excellens bois de construction. Si l’Albanie était aussi riche en produits des champs qu’en bétail, sa condition économique changerait complètement. Le clan de Koplikou, qui possède de nombreux troupeaux, fait un grand commerce de laines, de fromages et de beurre, et cette tribu possède plusieurs familles opulentes qu’on reconnaît à la beauté de leurs armes. Il serait à désirer que les clans, au lieu de s’enfermer, comme la tribu de Koplikou, dans un seul genre d’industrie, imitassent les Clémenti, qui, fort adonnés au soin de leurs innombrables troupeaux, ont pourtant défriché la plaine déserte de Talia, aujourd’hui couverte de céréales qu’on exporte en partie. Après avoir dû autrefois la richesse à des expéditions aventureuses, les Clémenti la doivent maintenant à leur travail, et ils n’ont pas cessé d’être cependant « la population si agile, si brave, si hardie, » dont parlent les chants populaires. L’exemple des Clementi n’a pas été perdu pour les Skreli, qui se sont enrichis en défrichant des fonds de terre dans la plaine de Scodra, et dont l’opulence est attestée par le luxe de leurs pistolets et de leurs yatagans, presque tous garnis en argent. Les Castrati ont également transformé en un territoire fertile la plaine abandonnée de Bayza-Tyranna, qui, après n’avoir été autrefois qu’un village de quinze maisons, est aujourd’hui une cité de vingt mille âmes, au milieu d’une campagne admirablement cultivée, couverte de fermes florissantes. Le manque de routes est le principal obstacle au développement de l’agriculture en Albanie. Il en est de même chez les Albanais établis en Italie, qui doivent espérer que la révolution à laquelle ils ont pris une si grande part leur fournira les moyens qui leur ont manqué jusqu’à ce jour d’améliorer leur situation.

Un autre caractère de ce développement du travail agricole