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empruntées à la législation française, les mettaient à l’abri des vexations féodales beaucoup mieux que le bon plaisir du souverain. Cependant il était impossible que les partisans des Bourbons, retirés en Sicile, ne fissent pas des recrues dans une population qui a la passion des armes, et que les souvenirs n’exerçassent pas quelque influence sur d’anciens soldats du Royal-Macédonien. La tradition a même conservé la mémoire de quelques hardis partisans qui résistèrent à l’établissement de la nouvelle dynastie ; mais le succès ne répondit pas à leur intrépidité. Les progrès que l’instruction faisait dans le royaume de Naples, surtout parmi les principales familles albanaises, l’influence de l’évêque Bellusci, n’étaient point de nature à ranimer l’attachement à l’ancien régime. La situation matérielle des populations s’améliorait d’ailleurs en même temps que leur condition morale. Parmi les Albanais qui s’étaient vus mêlés aux révolutions de l’Italie méridionale, il s’en était trouvé plusieurs qui avaient reconnu que les idées libérales resteraient éternellement frappées de stérilité, si les représentans de ces idées ne se préoccupaient avant tout d’améliorer l’état du peuple. Tel fut Salvatore Marini, frère du jurisconsulte Cesare, l’auteur de la Memoria su’riti delle Nozze pressa gli Albanesi. Lié intimement avec les Français, il en reçut beaucoup de faveurs, et il eut l’occasion de s’entretenir avec eux du progrès de l’agriculture en Occident. Aussi, lorsqu’il quitta, quelques années après la restauration, les fonctions de président de la grande cour civile des Calabres (1822), il donna à la commune albanaise de San-Demetrio une impulsion qui changea la face du pays. Tant que le travail des champs avait paru à l’Albanais une occupation de serfs attachés à la glèbe, il abusait du privilège de porter les armes accordé par les princes aragonais à un peuple qui s’était signalé par ses exploits contre les infidèles, pour demander à l’épée des moyens d’existence que la charrue ne lui eût pas refusés ; mais lorsque la dynastie française eut aboli un privilège qui était considéré comme aristocratique, lorsque les Chkipetars apprirent que ces soldats de Napoléon et de Murat, dont les exploits faisaient l’admiration du monde, avaient la plupart quitté les champs pour prendre le fusil, leurs idées subirent de profondes modifications. La vie klephtique perdit à leurs yeux son ancien prestige. Les uns s’appliquèrent à l’étude, et surent conquérir de hautes positions dans les Calabres, les autres portèrent dans l’agriculture l’ardeur du caractère national. Stimulés par Marini, les habitans de San-Demetrio plantèrent plus de cent mille oliviers, mûriers ou figuiers. Les maisons s’embellirent à mesure que les cultivateurs s’enrichissaient. Par malheur, les troubles de ces dernières années ont entravé le développement de ces modifications