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d’Angélina, dans lequel l’amour outragé se montre capable d’une de ces terribles vengeances dont la race albanaise a le goût. Le chant commence par un portrait du héros, qui fait pressentir le sort des imprudens assez hardis pour le braver. « Dhimitri était à la guerre — un vent impétueux qui brise et déracine les bois. — Il était la foudre qui traîne après elle la sombre pluie et les tempêtes. — Dhimitri était parmi ses compagnons — la douce parole qui calme, — la joie qui rend heureux, — le beau rire qui réjouit ! » Dhimitri fait part à ses amis du dessein qu’il a de voir sa belle, et il se dirige vers la maison d’Angelina, qu’il trouve fermée. Une vieille femme qui accourt en l’entendant frapper lui répond qu’il n’y a personne, « tandis que la belle avec un autre — plaisantait dans la maison. » Voyant qu’il était pris pour dupe, il jette la porte en dedans et trouve la perfide et son amant frappés de terreur. « Le jeune homme, il le met en morceaux ; — la fille, il l’égorge ; — puis il les prend comme deux sacs — et les porte au moulin. — Pendant qu’on était au cœur de minuit, — il les jette sous le moulin : — Allons, mon brave moulin, — mouds-moi la bonne farine ! — Ce jeune garçon était un bouliar — très prudent et très bon. — Allons, mon brave moulin, — mouds-moi la blanche farine ! — Cette enfant qui m’avait touché — plus que la neige était blanche ! »

Le respect de la foi jurée qui a inspiré ce chant n’est pas moins frappant dans une composition d’un caractère vraiment saisissant, connue sous le nom de chant de Garentina. Là, comme chez ces anciens Gaulois que l’Albanais aime à nommer des « frères, » la parole donnée oblige jusque dans la tombe[1].


« Il y avait une excellente mère ; — cette mère avait neuf fils, — neuf fils vaillans, — tellement que chacun d’eux était un gentilhomme. — Elle avait aussi une jeune fille, — belle réellement comme une rose, — dont le sein était déjà arrondi, — et à laquelle on donnait le nom de Garentina. — Beaucoup de seigneurs et beaucoup de bouliars — étaient venus dans le pays, — étaient venus afin d’obtenir cette jeune fille ; — mais on ne l’avait donnée à aucun. — Enfin il arriva d’un pays, — d’une terre fort éloignée, — un chevalier valeureux. — Mais parce qu’il était de fort loin, — à lui aussi on ne la donna pas. — Seul voulait la lui donner Constantin, — un frère de Garentina. — Il allait et il venait Constantin, — il allait et il venait pensif.

« LA MERE. — Constantin, mon fils, — quelle est ton idée ? — Qu’as-tu,

  1. Ce chant était peu connu jusqu’à ce jour ; j’en possédais une copie d’après un vieux manuscrit calabrais, Aujourd’hui tous les albanologues pourront le trouver dans l’important recueil (livre Ier, chant XVI) que publient à Florence M. G. de Rada, et M. Nicole Ieno de’ Coronei. J’ai concilié la leçon de mon manuscrit avec celle du recueil.