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d’entente. On pouvait aller jusqu’à leur dénier une existence légale, vu qu’ils n’avaient que peu ou point subi les modifications stipulées par le règlement de 1864. Ils cessaient même bientôt d’exister de fait, l’apparition du choléra à Deir-el-Qamar ayant dispersé les deux grands midjelès judiciaire et administratif. Comme pour ajouter à ces conditions d’anarchie, d’où Davoud-Pacha comptait évidemment faire sortir la preuve qu’il était indispensable à la tranquillité de la montagne, le gouverneur débutait à Constantinople en donnant sa démission, qu’il maintint durant quelques semaines. — Si jamais Caram eut beau jeu pour déguiser l’usurpation du gouvernail en acte de sauvetage, c’est bien certes à ce moment-là. Caram ne donna pourtant pas signe de vie. Se crut-il encore enchaîné par sa récente promesse ? Voulut-il se ménager un certificat de sagesse auprès de la conférence de Constantinople, que la démission de Davoud-Pacha appelait à reprendre la question libanaise ? Soupçonna-t-il simplement quelque piège derrière ces portes si larges ouvertes ? On a le choix des interprétations ; mais que ce fût scrupule ou circonspection, manque d’ambition ou manque d’initiative, l’abstention du chef maronite dans une circonstance aussi décisive prouvait bien que, livré à lui-même, il n’autorisait aucune des inquiétudes sur lesquelles on avait spéculé. La déception n’était pas moins complète du côté du pays. Les tentatives faites par quelques agens notoires de l’intrigue turque pour engager Druses contre chrétiens, ou Grecs contre Maronites, n’avaient servi qu’à produire deux ou trois rixes isolées et qu’à mieux mettre en évidence les aspirations communes des divers élémens vers la concorde : les notables, autrefois les premiers en pareille circonstance à relever le gant, étaient de part et d’autre spontanément intervenus comme pacificateurs. Ce pays que les Turcs prétendent asservir à leur meurtrière et démoralisante tutelle sous prétexte qu’eux seuls peuvent mettre le holà entre six communautés ennemies, ce pays s’est trouvé durant plusieurs mois absolument livré à lui-même, sans que l’absence de gouvernement s’y manifestât autrement que par la fermeture des administrations centrales. Hâtons-nous de dire qu’un pareil résultat était principalement du à l’homme qu’il a, selon toute apparence, le plus désappointé, à Davoud-Pacha, à ses efforts de deux ans pour pallier l’œuvre désorganisatrice de vingt ans et rendre à leur libre cours les bons instincts des populations libanaises. L’éclatant argument qui venait de s’élever contre ses tendances présentes sera l’incontestable honneur de son passé.

La comédie de la démission réussit d’autant mieux que la Porte y, était peut-être de moitié. Davoud-Pacha obtint une bonne partie de ce qu’il voulait. On lui accordait, outre un large supplément de