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parties les plus élevées renferment des sapins centenaires. Le maïs vient dans les belles vallées de la Mirdita, mais la population, dont le chiffre s’élève sans cesse, est forcée d’acheter au dehors une partie des céréales qui lui sont nécessaires. La Mirdita se divisé en cinq bayraks (drapeaux). La principale localité du bayrak d’Orosch est Orosch (appelé souvent en Occident Orocher), résidence du chef que les Turcs nomment pacha et les Occidentaux prince. Il n’est point exact de dire, comme on le fait assez souvent, que l’abbé mitre des Mirdites, qui réside à Orosch, est le chef d’une sorte de théocratie. L’autorité dont il jouissait autrefois n’a pas résisté à l’influence du temps, et, plus habiles que les Italiens, les Mirdites ne lui ont pas permis d’intervenir dans leurs affaires politiques. L’abbé d’Orosch s’occupe donc uniquement de ses fonctions sacerdotales. Même sur ce terrain, son pouvoir a subi de graves atteintes, et il a dû reconnaître la juridiction de ce diocèse d’Alessio dont M. Wiest a fait une intéressante description. Sauf deux villages, toute la principauté reconnaît pour chef spirituel l’évêque catholique d’Alessio, qui leur fournit des aumôniers toutes les fois qu’ils vont en campagne. Le contre-poids réel au pouvoir du prince est l’élément aristocratique, et c’est dans sa propre famille qu’il rencontre surtout des élémens de résistance. Ce chef fait remonter l’origine de sa famille aux princes de Dukadgini, qui se seraient réfugiés dans ces retraites inaccessibles après la mort de Scander-Beg ; mais cette tradition n’est pas universellement acceptée parmi les Mirdites. Les chants ne permettent pas de remonter au-delà de Gion Marcu, qui vivait il y a environ un siècle et demi. Le fils aîné de Gion, Prenk Eech, batailleur comme son père, et dont la mort fut tragique, laissa trois fils, l’un qui portait son nom, l’autre qui s’appelait Dod Lech, et un troisième, célèbre dans la poésie populaire, Lech Sii (Alexandre le Noir), sous les coups duquel tomba Botzaris. Il ne reste aujourd’hui de la branche de Prenk Lech que le prince Bib-Doda, des descendans de Dod Lech que le capitaine Marko et son frère ; quant à Lech Sii, il n’a qu’un héritier, le capitaine Gion. Comme les « lois du sang » ont été consciencieusement exécutées, tous peuvent vivre dans le grand sérail du chef des Mirdites, vaste maison meublée avec une simplicité militaire. L’énergie du prince, énergie dont il a donné plus d’une preuve, tantôt sur les frontières de la Tsèrnagora, tantôt sur le Danube, ne contribue pas peu à maintenir l’ordre dans la famille régnante ; mais sa politique est bornée comme l’horizon de ses montagnes. Pour lui, l’essentiel, c’est que la bravoure mirdite conserve son antique prestige, et il aurait quelque peine à comprendre que les Albanais musulmans ou orthodoxes pussent avoir des intérêts communs avec leurs frères catholiques.