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pu connaître ses desseins et s’entendre avec lui, l’empire des sultans eût couru les plus grands dangers. Allié secret de Milosch Obrénovitch, dont il recevait des conseils et de l’argent, il songeait à briser les liens assez faibles qui l’unissaient à la Turquie et à changer son titre de pacha pour celui de prince souverain ; mais il avait plus d’ambition que de talens, et lorsqu’il se souleva à son tour contre le padishah, l’habile et énergique séraskier Méhémet-Reschid-Pacha s’empara de sa personne et l’envoya à Constantinople, où il fut depuis connu sous le nom de Moustapha-Scodrali. Plus tard il fut chargé du gouvernement de Smyrne[1]. Cet événement eut les plus graves conséquences, puisque la Porte en profita pour établir à Scodra des pachas qui sont restés soumis à son autorité.

Dans l’Albanie méridionale, le visir de Janina, Ali-Pacha, soutint avec beaucoup plus de vigueur une lutte acharnée contre le pouvoir central. Ali, le véritable type du Toske, joue le même rôle dans les chants de la Toskarie que l’intrépide Mahmoud-Pacha dans les chants guègues ; mais il occupe une place encore plus grande dans la poésie populaire, et dans les traditions helléniques, et c’est là qu’il faut l’étudier. J’en dirai autant des Souliotes, les plus valeureux des Chamides, qui l’arrêtèrent si longtemps devant leurs rochers.

Depuis la chute de la république de Souli, depuis la décadence de la confédération des Chamides, ruinée à l’époque des guerres d’Ali-Pacha contre les chrétiens de l’Albanie méridionale, depuis le massacre de Monastir, si funeste aux beys du sud et qui fut suivi de la destruction de leurs tours féodales, l’esprit d’indépendance a trouvé un asile dans le nord de l’Albanie, et la Mirdita, appuyée par ses fidèles alliés, les braves Dukadgini, par les clans des montagnes d’Alessio et de Mathia, est devenue la forteresse, jusqu’à présent inexpugnable, de la nationalité albanaise. La tribu ou principauté des Mirdites occupe dans la Guégarie une position qui explique comment ce petit état exerce une influence fort supérieure à sa population[2]. Enfermée dans d’inaccessibles montagnes, où l’on ne pénètre que par trois gorges, justement redoutées des armées du padishah, elle commande les routes de Prisren et de Tyranna, les seules qui permettent au sultan d’envoyer des secours dans la Haute-Albanie quand il est en guerre avec la Tsèrnagora. Ce pays, qu’on se représente trop souvent comme semblable aux pentes rapides des Apennins, est couvert d’admirables forêts dont les

  1. Son fils vient d’épouser une nièce du sultan.
  2. 12,356 âmes selon M. Wiest, actuellement consul de France a Scodra.