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les pachas ont pris la fuite ! Oh ! comme leur armée est passée au fil de l’épée ! » Selim-Pacha, avec ses Bosniaques, vole à l’assaut du mont Hotti. « Ahmet-Pacha et ses Albanais combattent comme les héros de l’antiquité,… les pierres, le bois, la mer sont teints de sang… Mais voici le vizir de la mer, il arrive avec sa flotte, portant la désolation et le carnage dans ses flancs. La Bosnie et la Roumélie ont investi entièrement la forteresse. Deux fois, trois fois, quarante mille soldats d’élite se sont élancés à l’assaut de ses murailles. Grâce à la Providence, ils n’ont pu lui faire aucun mail Qu’ils rassemblent, s’il leur plaît, Alep et la Perse, le monde entier, ils ne pourront s’emparer de la forteresse, œuvre de Dieu ! »

Un petit pays comme la Tsèrnagora, habité par des chrétiens intrépides, donna plus de mal à Mahmoud que l’empire des sultans. En 1775, le chef albanais avait échoué dans ses attaques contre la Montagne-Noire. En 1785, profitant de l’absence du brave vladika (prince-évêque) Pierre Ier, il put pénétrer jusqu’à Tsètinié, mais il ne parvint pas à s’y maintenir. Fier de ses succès contre les Ottomans, il se jeta de nouveau dans la Tsèrnagora, où il trouva le vladika tenant d’une main la croix et de l’autre l’épée. Obligé de s’enfuir, il revint à la charge le 22 septembre 1796 ; mais après une lutte acharnée de quatre heures il fut pris et décapité.

La journée du 22 septembre a laissé de cruels souvenirs dans l’âme vindicative des Guègues. Il suffit pour s’en convaincre de lire le chant qui la raconte. Le poète fait remarquer avec amertume que les Mirdites n’étaient pas là ; mais les Albanais, même privés de leur concours, eussent triomphé sans l’excessive prudence de « l’infidèle, » caché derrière des « haies » et des « barricades. » La vendetta albanaise est tout entière dans la conclusion : « O lions de Scodra, en avant ! mes fils, entrez dans la Tsèrnagora ! En avant, mes fidèles guerriers mirdites ! faites à ces infidèles pleurer des larmes de sang pour venger le pacha, qui, si vous aviez assisté à la bataille, ne fût pas resté seul ! »

Avant de mourir, Mahmoud s’écria, si l’on en croit le chant guègue qui raconte sa mort : « Malheureux, malheureux que je suis ! je ne laisse pas un fils pour me venger ! » Son frère Ibrahim lui succéda, et, mort lui-même sans enfans, il fut remplacé par son neveu Moustapha. Celui-ci marcha avec ses Guègues contre les Hellènes commandés par un autre Albanais, l’héroïque Marco Botzaris. Comme au temps où Mahmoud-Pacha combattait la première insurrection grecque (1770), deux peuples pélasgiques de la péninsule devaient, en s’égorgeant, retarder pour de longues années la délivrance de leur terre natale.

Moustapha, qui réprimait l’insurrection hellénique, était bien loin d’être au fond l’ami des Ottomans, et si les insurgés avaient