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Tabachi, parvint à débarrasser Scodra des fonctionnaires envoyés de Constantinople et à fonder une dynastie de pachas héréditaires qui s’est maintenue jusqu’à nos jours. Méhémet s’était attaché les chrétiens des montagnes, et surtout les redoutables Mirdites, en respectant leurs lois (les lois de Lech Dukadgin) et leur indépendance. Grâce à une habileté qui n’excluait jamais la résolution, il réduisit la domination ottomane à une simple suzeraineté. Il paraît que ses enfans héritèrent de son adresse, et un chant qui nous raconte une aventure de sa fille Kraïo-Khanum montre qu’elle était fort habile à démasquer les fourbes et les voleurs. Si Kraïo avait la ruse paternelle, Mahmoud, son frère, resta fidèle à l’esprit belliqueux de Méhémet. Sa vie fut une vie de batailles : il lutta à la fois contre les Toskes, contre les Turcs et contre les Slaves de la Tsèrnagora, et trois chants guègues nous ont conservé le souvenir de l’intrépidité à toute épreuve de ce « lion rugissant, » de ce « vautour dévorant. »

Les guerres contre les Toskes sont un de ces tristes drames dans lesquels la discorde travaille, à la grande joie des Turcs, à exterminer les fils de l’Albanie. La Toskarie et la Morée furent le théâtre de combats dont personne ne semblait apercevoir les funestes conséquences. « Battez, ô cœurs, disait le poète guègue, battez, car nous avons vaincu les Toskes. » En 1770, Mahmoud se rendit lui-même en Morée avec 20,000 Albanais pour réprimer la première insurrection grecque, et cette fois encore les Ottomans avaient la joie de mettre les descendans des Pélasges aux prises avec un peuple auquel tant de liens et tant de souvenirs les rattachent. Ils n’eurent pas toujours, il est vrai, à se louer de Mahmoud-Pacha, qui remporta plus d’une victoire sur les troupes ottomanes elles-mêmes. Mahmoud eut la gloire de venger à Kossovo le désastre que les défenseurs de la péninsule avaient éprouvé dans cette plaine tristement fameuse. L’armée turque y fut taillée en pièces. Le padishah furieux mit Mahmoud au ban de l’empire et lança contre lui vingt pachas avec leurs armées. Enfermé avec une poignée d’hommes dans la forteresse sacrée de Scodra, le Rosapha, Mahmoud, conservant un calme admirable, tint tête aux Rouméliotes, et par des traits d’audace inouïs, grâce aux intelligences qu’il avait avec le pays, il força le roumili-valissi (chef des Rouméliotes) à lever honteusement le siège. Une nouvelle armée ottomane, attaquée par les montagnards et par les Mirdites, fut complètement écrasée, tandis que le pacha de Scodra brûlait la flottille turque dans la Boïana.

L’orgueil des triomphes de Mahmoud éclate dans un chant guègue. Mahmoud voit arriver l’ennemi « avec le courage du dragon. » Il s’élance, « ce lion, » sur les spahis avec les siens. La guerre et le feu durent depuis deux heures et demie jusqu’à minuit. « Tous