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reconstituer les titres historiques et la littérature populaire de leur race ; ce sont eux que le général Garibaldi appelait récemment aux armes et qui ont si bravement répondu à son appel. On les retrouvera dans le cours de cette étude. Suivons d’abord l’histoire de ceux qui restèrent attachés au sol natal.


II. — L’ALBANIE DEPUIS LA CONQUÊTE.

Les Albanais qui ne s’exilèrent pas se partagèrent en trois camps. Les uns, trop fiers pour supporter la condition de raïa et conformant leur conduite au fameux proverbe toske : « là où est l’épée, là est la croyance, » refusèrent de servir un Dieu qui se laissait vaincre dans la personne de ses adorateurs ; ils se firent musulmans. Les autres, prêts à souffrir tous les maux plutôt que d’abjurer le culte de leurs pères, restèrent chrétiens, mais se partagèrent entre les deux rites. Les Mirdites et diverses tribus de la Guégarie ont conservé le rite latin avec quelques usages orientaux, par exemple la communion sous les deux espèces. L’Albanie méridionale, voisine de la Grèce, s’est prononcée pour le rite grec. Ainsi deux églises rivales se disputent les Albanais, sans parler de l’islamisme, qui à Scodra comme à Janina représente le culte vainqueur.

Les Albanais qui ont abjuré le christianisme ont joué dans l’empire ottoman un rôle considérable. N’a-t-on pas vu un moment où les ministres albanais, devenus héréditaires, arrêtant l’empire sur la pente de la décadence avec la résolution ordinaire de leur race, semblaient à la veille de substituer sur le trône de Mahomet II le sang indo-européen au sang finno-mongol ? Méhémet Koproli, qui appela en Roumanie les Ghika, ses compatriotes, et qu’on a comparé au cardinal de Richelieu, fut le premier grand-vizir appartenant à une famille célèbre. Sous son administration populaire, quoique souvent impitoyable, et sous celle de ses successeurs de la famille des Koproli, les provinces albanaises jouissent d’un calme relatif ; mais à la mort du dernier Koproli les dissensions recommencent. L’histoire de la race albanaise nous montre à toutes les époques cette perpétuelle lutte contre le pouvoir central. Les Albanais musulmans eux-mêmes, dévoués et courageux défenseurs de la Sublime-Porte contre les Hellènes, ne cessent de s’agiter sourdement pour devenir indépendans. Il faut que l’antique nationalité pélasgique soit bien vivace pour trouver le moyen de s’affirmer encore après tant de désastres en apparence irréparables. Il faut voir dans leurs chants nationaux l’altier mépris qu’ils témoignent pour ces Asiatiques, leurs maîtres, et pour leurs voisins les Slaves[1],

  1. Les détails qu’on va lire sont tirés d’un chant que cite M. Hecquard, et qu’il fait remonter vers 1572.