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différens, il s’attache à montrer les nombreux liens de parenté qui les unissent. « Le proto-Albanais, dit-il, n’est pas seulement contemporain du proto-Romain et du proto-Grec, mais il y a entre eux affinité, ou en d’autres termes ce qu’il y a de pareil dans les usages des trois peuples vient d’un même élément, l’élément pélasgique. » M. Théodore Mommsen regarde comme un fait incontestable « l’origine commune » des Albanais et des races hellénique et italique.

Les Albanais de l’Italie méridionale sont justement fiers de ces glorieuses découvertes qui leur donnent pour aïeux les « divins Pélasges » d’Homère, ces Pélasges que les mythes helléniques font naître « avant la lune, » ces fils de Pelasgos, « le premier homme enfanté par la terre, » et qui bâtit sur le Lycée « la première ville qu’ait vue le soleil. » M. Dorsa, qui a recueilli avec tant de soin et discuté avec tant de sagacité les traditions populaires de ses compatriotes, revendique pour la race albanaise ces illustres origines et l’honneur d’avoir produit Philippe, Alexandre le Grand, l’Aristote, Pyrrhus, la reine Teuta, qui osa tenir tête à la république romaine. Ces souvenirs ont toujours été vivaces dans le cœur des Albanais. Un historien napolitain, Summonte, rapporte que le prince de Tarente, ayant, au XVe siècle, écrit à Scander-Beg une lettre insolente où il traitait son peuple de troupeau, reçut cette fière réponse : « tu ne connais pas mes Albanais, nous descendons des Épirotes, qui ont donné pour ennemi aux Romains Pyrrhus, et des Macédoniens, qui ont donné pour vainqueur à l’Inde Alexandre. » On comprend maintenant le sentiment de dédaigneuse fierté qui doit animer les Albanais en face des Slaves et de tous les peuples d’Europe. Deux peuples ont seuls trouvé grâce devant eux, les Grecs et les Français. Les Albanais savent combien a été glorieuse l’histoire de la Grèce antique. Un des défenseurs les plus décidés de leur nationalité, M. de Rada, prenait pour devise de ses poésies, devenues populaires, ces vers de M. de Lamartine :

Je ne suis qu’un barbare étranger sur vos bords,
Fils d’un soleil moins pur et de moins nobles pères,
Indigne, ô fils d’Hellé, de vous nommer mes frères,
Vous dont le monde entier, en comptant vos aïeux,
Ne nomme que des rois, des héros et des dieux.

Pour les Français, ils les appellent leurs « frères » et prétendent que les ancêtres des deux nations ont été placés « dans le même berceau. » Est-ce simplement un hommage d’admiration que les meilleurs soldats de l’Orient envoient au peuple de l’Occident le plus brillant à la guerre, ou n’est-ce pas plutôt un souvenir des antiques alliances et des longues luttes entre les Pélasges de