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la nature. Voilà ce que m’ont donné les Alpes ! » Par suite de la délicatesse croissante de sentimens que la connaissance plus intime des phénomènes terrestres a donnée au professeur Tyndall, les moindres détails le frappent et le ravissent de joie. Parmi les physiciens, en est-il beaucoup qui s’attendriraient comme lui devant la beauté d’un flocon de neige sans craindre les sarcasmes doucereux d’un aimable confrère ? En est-il un qui, après avoir décrit les ramifications des fleurs de glace sur les vitres d’une chambre d’auberge, oserait ajouter « que ces productions exquises ne parlent pas seulement à son intelligence, qu’elles réjouissent aussi son cœur et font apparaître des larmes dans ses yeux ? » Et l’homme dont nous citons les paroles, ce n’est pas un poète mélancolique, c’est le savant qui, depuis les premières recherches d’Agassiz, a contribué pour la plus forte part aux progrès de la science des névés et des glaciers.

Cette passion de M. Tyndall pour les monts d’un accès difficile, ses amis de l’Alpine Club et bien d’autres Anglais la partagent, et comme lui ne cessent chaque année d’ajouter par leurs ascensions à l’étendue des connaissances humaines dans l’orographie de l’Europe. Du reste, ce n’est pas seulement dans l’exploration des glaciers et des hautes cimes que nombre d’Anglo-Saxons se distinguent parmi les savans des autres nations, c’est aussi dans l’étude de tous les phénomènes physiques de la terre. L’astronome Piazzi-Smith reste pendant des mois entiers avec sa femme et l’équipage d’un yacht à 3,000 et 3,500 mètres de hauteur sur les lianes du pic de Ténériffe pour instituer des expériences sur la pureté de l’atmosphère, pour connaître les plaines supérieures des nuages comme d’autres connaissent celles de la terre, et pour assister au conflit des vents alizés et du contre-courant venu de l’équateur. Plus audacieux encore, M. Glaisher s’élève dans les hauteurs de l’air bien au-dessus de l’altitude correspondant aux cimes les plus élevées de l’Himalaya. Le savant météorologiste et ses compagnons sont décidés à monter aussi longtemps qu’ils pourront garder le sentiment de leur propre existence. L’air, devenu trop rare pour leurs poumons, les force à haleter péniblement, ils ont des battemens de cœur, leurs oreilles bourdonnent, le sang gonfle les artères de leurs tempes, leurs doigts se refroidissent et leur refusent le mouvement ; n’importe, la volonté les soutient, ils versent encore du sable hors de leur nacelle et se donnent ainsi un nouvel élan dans l’atmosphère. Un des aéronautes s’évanouit ; mais les autres ne font rien pour arrêter l’ascension, et, les yeux fixés sur leurs instrumens, ils notent du regard l’abaissement graduel des colonnes de mercure dans le baromètre et le thermomètre, comme s’ils étaient encore à leur observatoire de Kew. Un deuxième des trois voyageurs héroïques, complètement engourdi par le manque d’air et