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Alpes ; ce sont eux qui ont étudié avec le plus d’ardeur la Mer-de-Glace et les divers glaciers des massifs occidentaux, et qui nous ont expliquera véritable topographie des groupes peu connus du Pelvoux, du Grand-Paradis, du Viso ; ce sont eux enfin qui par la fondation du premier Alpine Club ont fait surgir depuis un grand nombre de sociétés du même genre dans les diverses contrées de l’Europe.

Quelle est la raison de cette remarquable prééminence des Anglo-Saxons dans l’exploration des montagnes ? Sans doute il faut la chercher en grande partie dans le sang même de la race. Les voyageurs anglais, marins ou gravisseurs, descendent de ces audacieux Vikings qui se disaient « les rois du flot sauvage, » et qui dans leurs barques étroites s’aventuraient avec tant de joie sur les vagues courtes et dangereuses de la Mer du Nord. Les Danois et les Normands, fils des Vikings, se sont établis en Angleterre, et, mêlés aux aborigènes et aux anciens conquérans du sol, ils ont ajouté à la ténacité bretonne leur audace et leur amour des aventures. Le milieu natal a fait le reste. La déclivité des campagnes doucement inclinées vers la mer, les profondes échancrures des côtes, les larges estuaires des fleuves, la facilité des communications maritimes, l’heureuse situation des ports en face de l’Allemagne et de la France, tous ces avantages naturels ont poussé les Anglais vers le commerce et les voyages. La Grande-Bretagne est devenue pour les échanges le principal marché du monde entier, et par suite c’est là qu’avec les progrès de la civilisation a dû se développer plus que partout ailleurs le désir de connaître les pays dont l’aspect diffère de celui de l’Angleterre. Il n’est pas jusqu’à la constitution de la propriété anglaise qui n’ait pour résultat de pousser hors de la patrie un grand nombre d’hommes énergiques, et d’accroître ainsi le goût et l’expérience des voyages de toute nature. Tandis que les ouvriers et les cultivateurs sans patrimoine s’exilent volontairement pour aller chercher le bien-être et l’indépendance dans un autre hémisphère, nombre de personnes aisées, que l’institution du majorat a privées de propriétés foncières, et qui n’ont pour ainsi dire aucun lien d’attache avec le sol natal, sont toujours prêtes à changer de pays. N’ayant pas de champs qui leur appartiennent en propre, elles prennent la terre entière pour domaine, et, nouveaux Mamertins, quittent en foule la patrie qui n’a plus besoin d’elles.

Pour nous rendre compte de l’invincible attraction qui entraîne tant de touristes anglais vers les crevasses des glaciers, les couloirs des avalanches et les corniches des rochers, il ne faut pas oublier que de tout temps l’Anglo-Saxon a professé un véritable culte pour la force physique. Grand mangeur de viande presque crue, il se complaît à tous les exercices violens où les muscles se tendent,