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cèdres. C’est vers ces « hauts lieux, » où se trouvaient leurs autels, que Juifs ou Chananéens se rendaient en foule pour aller égorger leurs victimes et brûler leurs holocaustes. De même pour les Grecs chaque montagne était une citadelle de titans ou la cour d’un dieu : un pic du Caucase servait de pilori à Prométhée, le père et le type de l’humanité ; le triple dôme de l’Olympe était le magnifique séjour de Jupiter, et quand un poète invoquait Apollon, c’était les yeux tournés vers le sommet du Parnasse.

De nos jours, on n’adore plus les montagnes, mais ceux qui les ont souvent parcourues les aiment d’un amour profond. Telle cime que l’on a gravie semble vous regarder ; elle vous sourit de loin ; c’est pour vous qu’elle fait briller ses neiges et que le soir elle s’éclaire d’un dernier rayon. Avec quel bonheur on se rappelle le moindre incident de l’ascension, les pierres qui se détachaient de la pente et qui plongeaient dans le torrent avec un bruit sourd, la racine à laquelle on s’est suspendu pour escalader un mur de rochers, le filet d’eau de neige auquel on s’est désaltéré, la première crevasse de glacier sur laquelle on s’est penché et qu’on osa franchir, la longue pente qu’on a si péniblement gravie en enfonçant jusqu’à mi-jambes dans la neige, enfin la crête terminale d’où l’on a vu se déployer jusqu’aux brumes de l’horizon l’immense panorama des montagnes, des vallées et des plaines ! Quand on revoit de loin la cime conquise au prix de tant d’efforts, c’est avec un véritable ravissement que l’on découvre ou que l’on devine du regard le chemin pris jadis des vallons de la base aux blanches neiges du sommet. Dans ce grand tableau qu’offrent les pentes de la montagne, on retrouve tous les souvenirs d’une journée de bonheur.

D’où vient cette joie profonde qu’on éprouve à gravir les hauts sommets ? D’abord c’est une grande volupté physique de respirer un air frais et vif qui n’est point vicié par les impures émanations des plaines. L’on se sent comme renouvelé en goûtant cette atmosphère de vie ; à mesure qu’on s’élève, l’air devient plus léger ; on aspire à plus longs traits pour s’emplir les poumons, la poitrine se gonfle, les muscles se tendent, la gaîté entre dans l’âme. Et puis on est devenu maître de soi-même et responsable de sa propre vie. Le piéton qui gravit une montagne n’est pas livré au caprice des élémens comme le navigateur aventuré sur les mers ; il est bien moins encore, comme le voyageur transporté par chemin de fer, un simple colis humain tarifé, étiqueté, contrôlé, puis expédié à heure fixe sous la surveillance d’employés en uniforme. En touchant le sol, il a repris l’usage de ses membres et de sa liberté. Son œil lui sert à éviter les pierres du sentier, à mesurer la profondeur des précipices, à découvrir les saillies et les anfractuosités qui faciliteront l’escalade des parois. La force et l’élasticité des muscles