Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/348

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’art décoratif. La commande en Grèce vient surtout de la cité, qui veut avoir un mémorial de ses héros et de ses dieux. La commande à Florence vient surtout des particuliers riches, qui veulent avoir des aiguières, des cabinets d’ivoire ou d’ébène, des orfèvreries, des murs et des plafonds peints, des stucs sculptés pour orner leurs appartemens[1]. Là-bas l’art était plutôt chose publique, partant plus grave, plus simple, mieux disposé pour exprimer la grandeur calme. Ici l’art est plutôt une chose privée, partant plus flexible, moins solennel, plus enclin à chercher l’agrément, à produire le plaisir, à proportionner ses dimensions et ses inventions au luxe dont il est le fournisseur.


De Côme au Lac-Majeur.

Joli pays, vert et fertile, parsemé de villages et de maisons de campagne ; leurs allées de peupliers se prolongent jusqu’à la route et finissent par un cercle de bancs de pierre sous un ombrage. Les moissons se continuent l’une dans l’autre, sous des lignes de mûriers ; d’un mûrier à l’autre, un mince sarment de vigne court, ouvrant ses petites feuilles traversées par la lumière. Le blé, le vin, la soie, font partout sur le même champ une triple récolte.

C’est jour de fête ; les gens sont dehors, en habits de dimanche ; ils n’ont point l’air indigens, leurs maisons sont en bon état, les femmes ont des châles bariolés de violet et de rouge, des robes noires qui tombent en tuyaux, des pendans d’oreilles, une couronne d’aiguilles en argent qui maintient leur voile et leurs cheveux. À prendre les choses en gros, c’est à peu près le bien-être de la Touraine. Seulement la plupart des enfans vont pieds nus, les chevaux des diligences sont des rosses maigres comme en Provence, et beaucoup de traits indiquent la négligence, l’ignorance, le goût du plaisir, la superstition comme dans notre midi. On voit quantité de madones et tout à côté un avertissement pour que le passant dise un ave. Parfois les murs représentent des damnés dans les flammes, et une inscription conseille aux vivans de prendre garde à eux. À Milan, dans la cathédrale, Jésus en croix est entouré de trois ou quatre cents petits cœurs d’argent ; les fidèles confessés et repentans qui diront devant le chœur un pater et un ave obtiendront cent ans d’indulgences ; s’ils sont vieux ou impotens, ils n’ont qu’à envoyer quelqu’un à leur place, ils ne profiteront pas moins. Un de mes amis vénitiens juge que dans sa province la disposition d’esprit est la même ; les paysans sont dévots au saint-père ; si pauvres qu’ils

  1. Voyez les vies de Paolo Uccello, Dello, Verocchio, Pollaiolo, Donatello, dans Vasari. La peinture et la sculpture au XVe siècle sortent de l’orfèvrerie.