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intermédiaire entre le style italien et le style gothique, comme si les artistes latins et les artistes germaniques étaient venus accorder et heurter leurs idées dans un même édifice ; mais l’œuvre est sincère, et, comme dans tous les monumens d’un âge primitif, on y sent la vive invention d’un esprit qui s’ouvre. Entre toutes, on peut prendre le Dôme comme type ; l’édifiée est, comme les vieilles basiliques, une maison surmontée d’une autre maison plus petite, et qui toutes les deux se présentent par le pignon. On reconnaît le temple antique, exhaussé pour porter un autre temple. Les lignes droites montent deux à deux, parallèles comme dans l’architecture latine, pour se coiffer d’angles. Toutefois ces lignes sont plus élancées et ces angles sont plus aigus que dans l’architecture latine ; cinq clochetons superposés les affilent encore. Il est visible que l’esprit nouveau goûte moins l’assiette solide que l’essor hardi ; les vieilles formes se réduisent et changent d’emploi sous sa main. La rangée de colonnettes et les deux bordures d’arcades rondes encastrées qui viennent s’appliquer contre la façade ne sont plus que de petits ornemens, vestiges d’un art abandonné, comme les os des bras rudimentaires dans la baleine ou le dauphin. De toutes parts, on aperçoit cet esprit ambigu du XIIe siècle, les restes de la tradition romaine et l’affleurement de l’invention neuve, l’élégance de l’architecture conservée et les tâtonnemens de la sculpture naissante. Un porche en avançage répète les lignes simples de l’ordonnance générale, et ses colonnettes portées par des griffons se superposent et s’emboîtent comme des tronçons de cordage. Ce porche est original et charmant ; mais ses figures accroupies, ses groupes autour de la Vierge, sont des singes hydrocéphales.

Au dedans règne la forme gothique, non pas complète encore, mais indiquée et déjà chrétienne. Je ne puis pas me soustraire à cette idée, que les ogives, les arceaux, les fleuronnemens, sont seuls capables de donner à une église la sublimité mystique ; s’ils manquent, elle n’est pas chrétienne ; elle le devient dès qu’ils commencent à se montrer. Celle-ci est déjà d’une gravité triste, comme le premier acte d’une tragédie. Des faisceaux de colonnettes s’assemblent en piliers rougeâtres, montent en chapiteaux ceints d’une triple couronne de fleurs, se déploient en arceaux brodés de torsades, et viennent s’achever dans la muraille du flanc par une sorte d’épi terminal. Sur le flanc, l’ogive des chapelles s’enveloppe dans un revêtement de feuillages et d’ornemens compliqués qui se rejoignent à la cime par un clocher surmonté d’une statuette. La plupart des figures ont la candeur sérieuse, l’expression sincère et trop.marquée du XVe siècle. Au fond, un chœur bâti par San-Micheli courbe jusque dans la nef sa ceinture de colonnes ioniennes. Les divers âges de l’église se manifestent ainsi dans les divers