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Sous une croûte parasite d’échoppes et de boutiques à ferraille, un vieux cirque romain, le plus vaste et le plus intact après ceux de Rome et de Nîmes, dresse sa forte courbe. Il a pu contenir en ces derniers temps cinquante mille spectateurs ; lorsqu’il était muni de ses galeries de bois, je suppose qu’il pouvait en recevoir soixante-dix mille. Toute la population d’une ville y trouvait place. Par sa structure et par son emploi, le cirque est la marque propre du génie romain. Ses énormes pierres, longues ici de six pieds et larges de trois, ses gigantesques voûtes rondes, ses étages d’arcades appuyées les unes sur les autres sont capables, si on les laisse à elles-mêmes, de durer jusqu’au dernier jour. L’architecture ainsi entendue a la solidité d’une œuvre naturelle ; l’édifice, vu d’en haut, a l’air d’un cratère éteint. Quand on veut bâtir, c’est de cette façon, j’entends pour l’éternité ; mais d’autre part ce monument de bon sens grandiose est une institution de meurtre continu. Nous savons qu’il fournit incessamment les blessures et la mort en spectacle aux citoyens, qu’avec l’élection d’un duumvir ou d’un édile ce jeu sanglant forme le principal intérêt et la première occupation d’une ville municipale, que les candidats et les magistrats le multiplient à leurs frais pour gagner la faveur populaire, que les bienfaiteurs de la cité lèguent de grandes sommes à la curie pour le perpétuer, que dans une bicoque comme Pompéi un duumvir reconnaissant fait combattre trente-cinq paires de gladiateurs en une seule représentation, qu’un homme poli, lettré, humain, assiste à ces massacres comme nous assistons à une comédie, que ce divertissement est régulier, universel, officiel, à la mode, et qu’on va au cirque comme nous allons au théâtre, au club ou au café. On aperçoit alors une espèce d’âme que nous ne connaissons plus, le païen élevé dans la gymnastique et la guerre, c’est-à-dire dans l’habitude de cultiver son corps et de dompter les hommes, poussant à bout ses belles institutions corporelles et militantes, et traversant l’activité de la palestre et l’héroïsme de la cité pour finir par l’oisiveté des bains et la férocité du cirque. Toute civilisation a sa dégénérescence comme sa sève. Pour nous chrétiens, spiritualistes, qui prêchons la paix et cultivons notre intelligence, nous avons les misères de la vie cérébrale et bourgeoise, l’affaiblissement des muscles, l’excitation de la tête, les petits appartenons au quatrième, les habitudes sédentaires et artificielles, nos salons et nos théâtres.

Ce cirque n’est qu’un reste : les traces de Rome sont faibles dans le nord de l’Italie ; l’originalité et l’intérêt de la ville consistent dans ses monumens du moyen âge ; mais l’impression qu’elle laisse est bizarre, parce que le moyen âge italien est mixte et ambigu. La plupart des églises, Santa-Anastasia, San-Fermo-Maggiore, le Dôme, San-Zenone, sont d’un style particulier, appelé lombard,