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lui-même se transmettre d’un animal à un autre, parce qu’il périt généralement peu d’heures ou peu de jours après qu’il a été extrait des organes, c’est qu’on n’avait observé que le ver adulte. On ignorait que la larve pût vivre dans un autre séjour que l’adulte, et qu’elle pût être douée de propriétés physiologiques distinctes, à la faveur desquelles s’accomplissent la transmission des individus et la propagation de l’espèce.

L’anguillule du blé niellé nous a dévoilé le secret de ce mode de propagation. Dans l’état où elle a été étudiée d’abord, lorsque, recueillie après la maturité du blé, elle possède la faculté de résister à une longue dessiccation, faculté que j’ai nommée la reviviscence, l’anguillule de la nielle est dépourvue d’organes génitaux ; c’est une larve. Comment, à la faveur de sa reviviscence, cette larve arrive-t-elle à se propager dans le blé ? Le grain niellé renfermé de huit à dix mille larves. A l’époque des semailles, ce grain desséché tombe à côté des grains sains ; ceux-ci germent et donnent bientôt une petite tige herbacée, tandis que dans le grain niellé, qui ne se développe pas, les anguillules, pénétrées par l’humidité du sol, sortent de leur profonde léthargie. Retrouvant la vie et le mouvement, elles percent leur coque ramollie, puis, guidées par leur instinct, elles vont dans la terre à la recherche des tiges de blé nouvellement développées. Elles s’introduisent entre les feuilles enroulées qui forment primitivement cette tige et attendent jusqu’à la saison prochaine la formation de l’épi. Celui-ci apparaît enfin sur la tige à quelques centimètres au-dessus du sol ; alors il se compose de simples écailles, très molles, dans lesquelles les anguillules s’introduisent facilement. Quand surviennent les premières chaleurs, l’épi s’élève du sol et emporte avec lui les hôtes qui s’y sont logés. Dans leur demeure nouvelle, ces hôtes deviennent adultes, s’accouplent et pondent, puis ils meurent, ne laissant que des débris méconnaissables ; mais de leurs œufs, qui éclosent avant la maturité du blé, sort une génération nouvelle qui reste à l’état de larve et se dessèche lorsque le grain mûrit. Ces larves, dont il serait alors impossible de découvrir l’origine, attendent dans un état de siccité complète les conditions nécessaires aux manifestations de leur vitalité. Ces conditions peuvent se faire attendre plusieurs mois ou plusieurs années. La résistance à la dessiccation n’est donc point, chez l’anguillule de la nielle, un jeu de nature ; c’est une propriété nécessaire à sa propagation, propriété qui se perd totalement dès que la larve arrive dans l’épi et devient adulte.

La connaissance de ces faits a trouvé une application immédiate au plus étrange de nos parasites, c’est-à-dire à la filaire de Médine. Ce ver si terrible, dont a parlé Plutarque, ne procède point autrement à l’égard de l’homme. Il est vivipare, et lorsque ses embryons vont éclore, il sort des parties qui le renferment en perçant la peau, dépose ses embryons au dehors et meurt. Cependant les embryons, passés à l’état de larves, possèdent la faculté de vivre hors du corps de l’homme, dans l’eau ou dans la terre humide. Si ces larves arrivent au contact de la peau de l’homme, elles s’introduisent dans les parties sous-jacentes par les canaux qui sécrètent la sueur et qui s’ouvrent à la surface de l’épiderme. Ces canaux ont un diamètre de trois centièmes de millimètre environ, tandis que la larve de la