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ce grave débat : il faut d’abord s’entendre sur la nature et le caractère des informations que le public attend du gouvernement ; il faut ensuite qu’il soit bien compris qu’il ne s’agit plus, pour satisfaire l’esprit public et répondre à ses plus légitimes exigences, de s’envelopper encore dans le vague système de neutralité dont il a été tant question depuis deux ans, moyen dilatoire que la précipitation des événemens a mis désormais hors de cause.

On a pris vainement le change sur les causes des inquiétudes violentes récemment exprimées par l’opinion, et sur la nature des éclaircissemens réclamés par les intérêts du pays frappés d’une subite alarme. Ce que l’opinion et les intérêts demandaient, ce n’était point la satisfaction d’une vaine curiosité, ce n’était point la communication hâtive de quelque dépêche ou des informations prématurées sur telle ou telle mesure en préparation. Quand les populations éclairées de notre époque, attachées par les intérêts du capital et du travail aux vicissitudes de la politique, veulent être initiées à la direction des grandes affaires, ce n’est point une curiosité frivole et mesquine qui les pousse ; elles sont animées par un intérêt élevé de sécurité et par un sentiment moral de sincérité. L’esprit humain et la constitution économique des sociétés modernes n’admettent plus les habiletés hasardeuses de la politique secrète. La politique de mystère et d’intrigue, celle qui, suivant le cours des événemens, se réservait des effets de surprise ou des échappatoires obscures, était possible dans ces siècles de l’histoire européenne où les états étaient en voie de formation et travaillaient à se constituer par la force des armes, où les peuples ignoraient qu’ils eussent le droit d’agir sur les résolutions des cours, où les édifices politiques n’étaient point enlacés aux intérêts de tous par le mécanisme aussi délicat que puissant du crédit, de la grande production industrielle et de la richesse financière. La grande activité économique de notre époque, par laquelle vivent les états comme les individus, ne peut subir des situations qui rendraient toutes ses opérations aléatoires, et qui la livreraient à la merci de surprises constantes. L’influence de cette constitution des sociétés modernes est morale au plus haut degré, car d’un côté elle rétrécit de plus en plus le domaine où peut s’exercer l’arbitraire des chefs, de gouvernement, et de l’autre elle tend à ranger les relations politiques internationales sous des lois naturelles faciles à exprimer en systèmes et en doctrines, dont il est aisé de calculer d’avance la portée, et dont la connaissance accroît par conséquent cette sécurité générale, cette confiance dans l’avenir, qui font la prospérité et la force dans le présent de toute entreprise, de tout travail, de toute existence. La prétention la plus intolérable du despotisme à notre époque serait la faculté qu’il voudrait s’attribuer de substituer des combinaisons individuelles, des inspirations personnelles à ces lois faciles à reconnaître, à formuler en théories et en doctrines, qui doivent régir les relations politiques des peuples, car c’est par cette