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qui donnerait peut-être 1 milliard, mais qu’il faudrait compenser en inscrivant 55 millions de plus au passif du budget, ne serait pas autre chose qu’un emprunt, et n’est-ce pas déjà par l’excès des emprunts que l’Italie a été amenée sur le bord de l’abîme où elle se cramponne ? Si on vend ces biens avec une sage lenteur, ce sera une faible ressource ; si on brusque la réalisation, il en résultera un avilissement de toute la propriété foncière, et le trésor perdra, par la détresse et le découragement des propriétaires, ce qu’il aura gagné par les ventes. Enfin ne semble-t-il pas choquant de prendre au clergé ses revenus solides en les remplaçant par des assignations sur un budget toujours en déficit ? Serait-il juste, serait-il prudent de jeter ce défi au fanatisme ?

Il suffit d’indiquer ces objections sans y appuyer ; on en sent trop bien la force. Un autre système controversé en ce moment est celui de M. Minghetti. Il est fort simple : le clergé verserait à titre de don volontaire une somme de 600 millions de francs en quatre ans. A ce prix, l’état renoncerait à tous les droits de souveraineté qu’il peut invoquer sur le patrimoine ecclésiastique. Dans un délai de dix ans, les biens de l’église et du clergé passeraient du régime de la mainmorte sous l’empire du droit commun, c’est-à-dire que les corporations deviendraient aptes à posséder avec l’indépendance et les garanties assurées aux simples citoyens par la loi civile. Ainsi entrerait dans la pratique la fameuse formule de Cavour : « l’église libre dans l’état libre. » Dans les circonstances actuelles, il y aurait à coup sûr un grand intérêt politique à réaliser 600 millions sans avoir recours au crédit ; mais le clergé est-il aussi favorable à cette transaction que M. Minghetti se plaît à le dire ? Est-il vraiment assez riche pour trouver 600 millions en espèces sonnantes ? Quelles seront les garanties du paiement ?

Une chose est vraiment inadmissible dans le système de M. Minghetti, c’est qu’il légalise le désordre existant dans le temporel du clergé italien. Il consacre les anomalies signalées, le diocèse immense à côté de la bergerie sans troupeau, la grasse sinécure à côté de la paroisse où le prêtre zélé meurt de faim. Constituer la propriété civile au profit du clergé n’est pas d’ailleurs chose facile. Dans un pays nouveau, en Amérique par exemple, des catholiques s’assemblent, se cotisent pour la fondation d’une église, restent propriétaires du fonds qu’ils ont créé, et en disposent dans l’intérêt de leur culte. Rien de plus naturel, et c’est ainsi qu’on conçoit l’église libre dans l’état libre. En Italie, des valeurs considérables existent. Nous ne sommes plus au temps où des fidèles pleins de foi nommaient leurs pasteurs et géraient en commun les biens de la paroisse. Dans l’état actuel du monde religieux, la direction temporelle et le choix du personnel des églises sont livrés