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autrichienne d’abriter sous ses ailes « des tendances révolutionnaires et hostiles à tous les trônes. » C’est le ministre aux procédés bien connus envers la chambre de Berlin qui demande maintenant pour « les voix sonores de messieurs les orateurs » les voûtes retentissantes de Saint-Paul ! Et qui cependant oserait affirmer que ce jeu n’emporterait pas les applaudissemens populaires ? Ce ne sont pas malheureusement les qualités de comédien qui ont jamais desservi les tyrans et les dominateurs auprès du peuple et de sa simplicité qu’on dit sainte…

Il y a dans la vie du grand ministre de Berlin un trait charmant et qu’il est utile de rappeler en ce moment, bien qu’il date d’une époque déjà lointaine, de l’année 1848. M. de Bismark n’était pas encore l’agitateur puissant qui fait trembler l’Europe, mais il était déjà l’adversaire ardent et hautain du libéralisme, il comptait, parmi l’élite et les lévites du parti de la Croix. Or il arriva qu’un jour, dans la chambre, après avoir prononcé une philippique virulente contre la « révolution, » il vint s’asseoir à côté d’un des plus fougueux ultra de la gauche (le Dr d’Ester) et lui faire une étrange confidence. Il tira de sa poche un élégant portefeuille, et y faisant voir un petit rameau desséché : « C’est une branche, dit-il, que j’ai cueillie auprès du tombeau de la Laure de Pétrarque dans mon récent voyage de France ; je compte l’offrir un jour à la démocratie en signe de conciliation… » Certes l’épisode ne manque pas de couleur locale et féodale ; on croirait presque y voir le reflet d’un clair de lune gothique, y respirer un parfum de l’Amaranth d’Oscar de Redwitz… Si toutefois l’on était sûr que M. de Bismark n’a jamais rapporté d’autre talisman de ses voyages de France, le danger paraîtrait moindre. On pourrait encore espérer que le ministre reculerait au dernier moment devant le saut périlleux, et il n’est pas jusqu’au projet de réforme fédérale dans lequel on n’inclinerait alors à voir une adroite manœuvre pour couvrir la retraite et faire céder les armes devant les toges et les bonnets des docteurs. Nous nous préparerions alors à voir simplement reprendre à Francfort un débat qui nous est connu depuis longtemps, cette discussion babélique sur la meilleure constitution des Allemagnes possibles que Montaigne aurait certainement appelée un grand tintamarre de cervelles. Même alors cependant on aurait tort de se bercer dans une sécurité trop placide et de regarder avec confiance dans l’avenir. L’antagonisme séculaire de la Prusse et de l’Autriche, le ministre de Guillaume Ier l’aura dans tous les cas aiguisé au plus haut point ; il aura rendu un choc tôt ou tard inévitable. N’oublions pas non plus que les peuples de la Germanie sont travaillés d’un malaise immense, qu’ils aspirent à des chimères pleines de tentations, et il ne