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force, d’autre justification que la convenance réciproque des deux copartageans. C’est là une pratique dont l’Europe actuelle était déshabituée, et il en faut chercher les précédens aux âges les plus funestes de l’histoire… » De son côté, lord John Russell envoyait à ses agens, le 14 septembre, une circulaire à peu près semblable, et de cette analogie entre les deux documens on avait même conclu dans le temps à une entente préalable pour les écrire. Nous pouvons affirmer qu’il n’en fut rien. Le prince de La Tour d’Auvergne fit au chef du foreign office communication amicale de la circulaire de son gouvernement longtemps après qu’elle eut été expédiée aux diverses chancelleries de France à l’étranger. Lord Russell la trouva fort bien faite, en demanda gracieusement copie et s’en inspira en composant quelques jours après sa propre dépêche, pour n’avoir pas été concertée d’avance, une pareille manifestation des deux puissances de l’Occident n’en était pas moins d’un grand poids moral, — si la morale toutefois est encore d’un poids quelconque dans les transactions politiques de nos jours, si elle ne ressemble pas plutôt à cette « ombre vénérable » dont parle Dante, et qui, en se jetant dans la frêle barque, n’en avait cependant en rien alourdi la marche « rapide et bourbeuse… »

Bien autrement vives et amères qu’à l’étranger furent du reste les critiques que la convention de Gastein souleva en Allemagne, en Autriche même. On ne pouvait guère se dissimuler à Vienne qu’on avait commis un acte de faiblesse, cédé quelque peu à la menace, et le parti militaire surtout, — très influent à la Burg et avec lequel un gouvernement comme celui des Habsbourg est particulièrement tenu de compter, — s’en montra profondément humilié et blessé. Si nous nous en rapportons à des informations que nous avons tout lieu de croire exactes, le général Benedek aurait, dans les premiers momens, voulu quitter l’armée, et n’y serait resté que sur l’insistance personnelle de son auguste souverain ; il reçut le titre de feld-zeugmeister, ce qui, en de pareilles circonstances, était encore plus une promesse qu’une faveur. On se doute bien comment les états secondaires ont dû accueillir la malencontreuse convention, cette nouvelle violation des droits du Bund ; ils usèrent de représailles et reconnurent en masse le royaume d’Italie, — reconnaissance qu’ils avaient jusque-là retardée par égard pour l’empereur François-Joseph. La rancune inspira en cette occasion à M. de Pfordten un véritable trait d’esprit. Il écrivit une note à M. de Mensdorff pour exposer les motifs qui le faisaient passer outre sur les dépossessions des princes autrichiens en Italie, et cette note, il la calqua exactement sur une dépêche autrichienne un peu antérieure par laquelle le cabinet de Vienne avait expliqué au