Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la pièce qui se joue aujourd’hui dans toute sa pompe. On parlait de guerre, on croyait à la paix, mais on avait le sentiment d’un malaise profond et pour longtemps encore incurable. M. de Bloome, le négociateur affairé qui allait de Munich à Vienne et de Carlsbad à Ischl, parviendrait-il à imaginer un arrangement quelconque et à ménager une entrevue entre l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse, qui s’évitaient soigneusement tout en se trouvant à très peu de distance l’un de l’autre ? Telle fut la question qui tint alors l’Europe en suspens durant deux semaines. Les cabinets étrangers suivaient avec une certaine anxiété les efforts de M. de Bloome ; mais ce furent surtout les diplomates des états secondaires de l’Allemagne qui de toutes parts s’agitèrent et coururent d’un camp à l’autre. Notons-le en passant, ces états moyens furent loin de prêter alors à l’empereur François-Joseph le concours plein et entier que les circonstances semblaient impérieusement commander. Sans doute M. de Beust, le plus clairvoyant ainsi que le plus menacé des ministres de la troisième Allemagne, déploya beaucoup de zèle ; mais ses collègues de la confédération ne montrèrent pas, à des degrés très divers, la même ardeur. D’aucuns gardaient rancune à l’Autriche de sa conduite envers le Bund pendant la « guerre de délivrance » sur l’Eider ; d’autres pensaient que Vienne et Berlin pourraient, au dernier moment, se raccommoder aux dépens de Francfort ; d’autres encore avaient peut-être des arrière-pensées égoïstes et des illusions peu généreuses. On se racontait alors une curieuse conversation qui aurait eu lieu entre M. de Bismark et M. de Pfordten. Le président du conseil de Berlin aurait longuement démontré à son collègue de Munich comme quoi le royaume de Bavière était destiné à recueillir tôt ou tard les provinces allemandes de l’Autriche et à la remplacer dans son rôle au sud du Mein. Le récit fut officiellement démenti, cela s’entend ; mais leurrer la Bavière avec la perspective des dépouilles autrichiennes, opposer les Wittelsbach aux Habsbourg, — c’est là cependant un des artifices traditionnels et presque élémentaires de la politique prussienne : Frédéric II a exploité le moyen en grand pendant la guerre de Silésie. Toujours est-il que la conduite de M. de Pfordten a présenté en 1865 (aussi bien peut-être qu’en 1866) un caractère peu tranché, prêtant à l’équivoque, sujet du moins à interprétations. Il importe de tenir compte de tous ces faits grands et petits pour être moins sévère à l’égard de MM. de Bloome et de Mensdorff, et pour mieux s’expliquer le dénoûment de la crise d’alors. On sait quel fut ce dénoûment. Les monarques d’Autriche et de Prusse finirent par se rencontrer à Salzbourg, et Guillaume Ier y employa l’argument souverain, celui qui servit si bien le général Mahteuffel lors de sa fameuse mission à