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d’un grand remaniement de la carte, proclamait dans tous les cas des principes menaçans pour l’existence même de l’empire des Habsbourg, et faisait pour le moins appréhender une seconde et prochaine campagne d’Italie.

C’est dans ce moment critique que l’habile président du conseil de Berlin s’offrit à M. de Rechberg comme un ami secourable. Il lui apporta le pardon de la Russie au prix d’une seule mesure administrative : la proclamation de l’état de siège en Galicie ; il lui promit aussi l’appui de la Prusse, la bonne alliance du Nord, pour le cas d’une agression en Italie[1], et en ce qui regardait la question brûlante et urgente, l’affaire des duchés, il lui proposa d’en écarter au préalable le Bund, comme trop emporté et poussant aux extrêmes, et de prendre en leurs propres mains l’exécution fédérale : c’était là le seul moyen d’empêcher une conflagration générale, de ménager les intérêts et les stipulations de l’Europe, de sauvegarder le traité de Londres, — car, il faut bien toujours l’avoir présent à la mémoire, ce n’est pas seulement l’Angleterre qui crut jusqu’au dernier moment au désir de M. de Bismark de maintenir l’intégrité des possessions du roi Christian IX ; le cabinet de Vienne lui-même y ajouta une foi pleine et entière. C’est dans cette espérance, dans cette foi qu’il prêta notamment la main à la mesure décisive du 14 janvier 1864 auprès de la diète de Francfort : coup d’état hardi qui humilia et évinça le Bund à la grande consternation des états secondaires, aux applaudissemens de la candide diplomatie britannique. Le 2 février 1864 et la guerre sévissant déjà sur les bords de l’Eider, lord Palmerston déclarait encore en plein parlement que « les deux gouvernemens d’Autriche et de Prusse avaient bien fait de s’opposer aux desseins des états secondaires allemands et s’étaient montrés dans ce sens les amis du Danemark… » On sait comment procéda dans la suite ce singulier ami du Danemark qui devait bientôt s’appeler le comte de Bismark. On sait comment il parvint à fasciner l’Autriche, à l’enlacer dans son réseau de réticences et d’audaces, à l’entraîner toujours plus loin par une série d’élans forcés. Il la mena, il la poussa, il la rudoya de triomphe en triomphe et de défaillance en défaillance ; il lui fît successivement conquérir le Slesvig, envahir le Jutland, répudier le traité de Londres, spolier le Danemark et assumer en dernier lieu la « co-possession » des duchés-unis dans ces stipulations de Vienne qui scellèrent la ruine de la malheureuse monarchie Scandinave.

La grande iniquité une fois cependant consommée, il est juste de reconnaître que le cabinet de Vienne s’efforça de reprendre des

  1. Dépêche de sir A. Buchanan au comte Russell du 12 mars 1864 (State Papers).