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quelques traits le singulier rôle que l’Autriche fut amenée à jouer dans cette œuvre à jamais néfaste. Ce rôle fut d’autant plus étrange en effet que tout, dans le cours ordinaire des choses, aurait dû plutôt détourner le cabinet de Vienne de la politique qu’il suivit à cette occasion, politique violente, agressive et perturbatrice, qui allait aussi peu aux traditions de l’empire des Habsbourg qu’à ses intérêts, à ses penchans bien connus. Dans les derniers jours encore de l’année 1863, à la veille même de l’invasion des duchés, le ministre de François-Joseph faisait à l’ambassadeur anglais l’aveu significatif « que personne ne regrettait plus que lui la tournure que semblait prendre l’affaire danoise, rien n’étant plus éloigné des désirs et des intérêts de l’Autriche que de soulever la question des nationalités[1]… ; » mais aussi cette année 1863 fut-elle une des plus embrouillées, des plus décevantes dont les annales de la diplomatie auront à garder le souvenir, et, pour comble d’infortune, à la tête des relations extérieures de l’Autriche se trouva l’homme assurément le moins fait pour maîtriser une grande crise, le ministre le plus évaporé et le plus décousu qui ait encore recueilli la succession des Kaunitz, des Metternich et des Schwarzenberg. Pendant cette seule année 1863, le comte Rechberg avait entamé à la fois trois des plus grosses affaires du monde : la question polonaise, la réforme fédérale de l’Allemagne et la cause des duchés de l’Elbe ; il les manqua toutes les trois et ne fit qu’accumuler les désastres et la confusion.

En ce qui touchait la question du Slesvig-Holstein, le ministre de François-Joseph n’y avait vu d’abord, au printemps de 1863, que le moyen de recueillir sans frais, pour son auguste souverain, une grande popularité dans la « grande patrie » allemande, le moyen de gagner les sympathies des états secondaires et de faire pièce à la Prusse ; mais dès l’automne de la même année les événemens avaient perdu ce riant aspect, et la situation générale était devenue des plus graves, périlleuse même. L’issue déplorable des négociations au sujet de la Pologne venait précisément de mettre à nu le profond désaccord entre l’Angleterre et la France ; l’entente occidentale avait sombré avec éclat, et l’Autriche se trouvait exposée aux ressentimens de la cour de Saint-Pétersbourg. Au même moment, la mort subite du roi Frédéric VII de Danemark changeait radicalement le caractère du débat engagé sur l’Eider ; les états secondaires, les peuples de l’Allemagne poussaient à la guerre, à une guerre de succession, et menaçaient de déchirer un grand pacte européen, le traité de Londres. Enfin et simultanément l’appel fait par la France à un congrès universel semblait annoncer le dessein

  1. Dépêche de lord Bloomfield au comte Russell du 31 décembre 1863 (State Papers).