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n’aurais jamais pensé que vous, qui êtes nos amis, vous auriez agi ainsi, et je ne puis croire que la reine vous ait donné ordre d’occuper notre territoire. Si vous désirez réellement la paix, vous ferez mieux de retourner chez vous sans molester davantage mes sujets ; mais si vous voulez prendre possession de mes domaines et les annexer à votre royaume, qui est déjà si grand, je lancerai contre vous l’armée sainte de douze dieux, dont les noms sont ci-dessous et qui sont des démons très malfaisans. »

Cependant les Bhotanèses avaient fait leurs préparatifs d’attaque. Le tongso penlow avait appelé à son aide les Thibétains du district de Kampa, seuls voisins avec lesquels les gens du Bhotan eussent conservé des relations amicales. Dans la nuit du 29 au 30 janvier 1865, ce chef attaquait en personne la petite garnison de Dewangiri à la tête d’une armée que les témoins oculaires ont évaluée à cinq mille hommes. Repoussé d’abord avec perte par la bonne tenue des sepoys, il entreprit bientôt de bloquer le fort et de harasser les défenseurs par des escarmouches continuelles. Il réussit même à détruire les conduites par où l’eau potable leur arrivait, en sorte que le commandant anglais se vit obligé d’évacuer le poste et de se replier sur la vallée de l’Assam. La retraite ne fut pas heureuse. Les troupes abandonnaient leurs bagages. L’avant-garde s’étant égarée pendant la nuit à travers la montagne, les soldats se laissèrent troubler par une panique et se débandèrent. Quelques blessés furent laissés sur la route, ainsi que les deux canons qui composaient toute l’artillerie de la colonne. L’officier qui commandait le détachement précipita ces pièces au fond d’un ravin, espérant qu’elles échapperaient aux regards des ennemis ; mais les Bhotanèses surent les découvrir et les enlever. Le tongso penlow les fit transporter au siège de son gouvernement comme un trophée de la victoire qu’il avait remportée. Ce chef se conduisit d’ailleurs avec beaucoup plus d’humanité qu’on n’en eût attendu de lui d’après le portrait que M. Eden en avait tracé. Il recueillit les blessés, les traita avec bonté et en usa toujours bien avec les messagers que le général anglais lui expédia pour s’informer du sort des prisonniers.

On peut deviner quelle pénible impression fut causée par cette déroute. D’un bout à l’autre de l’Inde, on se dit que le prestige de l’armée anglaise venait d’être compromis. Au reste, l’attaque de Dewangiri n’était pas un fait isolé, car les hostilités commencèrent sur toute la frontière du Bhotan. Les troupes anglaises résistèrent mieux par la suite qu’elles n’avaient fait en cette première occasion ; cependant plusieurs postes de la montagne durent être évacués, en sorte que la conquête était à refaire. De nouvelles troupes furent expédiées comme renfort. Le gouverneur-général eut soin d’y