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montrent une adresse merveilleuse à faire usage des pauvres armes de jet qui sont leur principale défense.

Les autres défilés qui donnent accès dans le Bhotan furent occupés sans que les colonnes rencontrassent une résistance mieux organisée. En certains points même, l’importance de la colonne expéditionnaire présentait un contraste assez risible avec la faiblesse de l’ennemi. Ainsi les Anglais s’avançaient au nombre de deux mille hommes, avec une suite de cent cinquante éléphans, vers une vallée à l’entrée de laquelle était, croyait-on, une place fortifiée désignée sous le nom de Bishensing. Après douze jours environ de marche pénible à travers les jungles, on arrivait enfin à une pauvre maison habitée par un vieux lama. C’était là le fort dont il avait été question. En somme, les indigènes fuyaient partout devant les colonnes européennes, mais non sans combattre ni vendre cher leur retraite. Les Anglais ne trouvaient que des villages abandonnés, des campagnes désertes. Enfin, au prix de beaucoup de fatigues et de beaucoup de sang versé, tous les prétendus forts de la frontière furent occupés. On était à la fin de janvier 1865. L’annexion fut considérée comme un fait accompli. L’armée reçut ordre de rentrer dans ses cantonnemens du Bengale, sauf quelques détachemens, qui devaient tenir garnison dans les forts les plus importans de la montagne, et quelques piquets de cavalerie dispersés dans la plaine de façon à établir des communications faciles et promptes entre ces forts et les postes de l’ancienne frontière. En même temps les officiers charges de la gestion politique du pays annexé le divisaient en districts et réglaient les questions d’impôt et d’organisation. Aux yeux du gouverneur-général de l’Inde, la guerre était finie ; pour les Bhotanèses, elle était à peine commencée.

Il n’y avait, paraît-il, dans l’armée anglaise aucun officier en état d’interpréter la langue bhotanèse, si bien que, lorsque les communications adressées aux commandans des colonnes par les autorités du pays n’étaient pas rédigées dans la langue de la plaine, il fallait les envoyer à Darjeeling pour les faire traduire par Cheeboo Lama, qui était le seul interprète que l’on connût. Quand par hasard on avait un prisonnier qui comprît les deux langues, on lui faisait traduire ces documens. C’était en réalité un grave inconvénient et un obstacle permanent à ce que les généraux sussent au juste ce qui se passait dans l’intérieur du pays qu’ils avaient envahi. Une première lettre du deb rajah, datée de la fin de décembre, ne parut pas trop menaçante. « L’an dernier, disait-il, j’ai reçu M. Eden avec tous les égards qui lui étaient dus. Il a promis d’une façon solennelle qu’il n’y aurait jamais de guerre entre nous. Sans respect pour cette promesse, vous venez me combattre, ce que je n’aime pas. Je