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l’Angleterre se croie obligée à temporiser longtemps afin qu’il soit bien reconnu qu’elle n’annexe plus à son vaste empire un pays nouveau avant que la nécessité en soit dix fois démontrée.

Le voyageur qui s’éloigne de Calcutta en s’avançant vers le nord parcourt en quelques heures, grâce au chemin de fer, les 350 kilomètres qui séparent cette ville des rives du Gange. Il est alors à moitié chemin de l’Himalaya, dont, par un beau jour, après une pluie abondante qui aura purifié l’atmosphère, il apercevra, dans le lointain, les pics neigeux se profilant avec une teinte légère sur le fond de l’horizon. Il paraîtra peut-être extraordinaire que des montagnes puissent être vues de si loin ; on se rappellera que les montagnes en face desquelles nous sommes placés forment un massif d’une étendue merveilleuse, et qu’il y a dans cette chaîne les pics les plus hauts du monde, entre autres le mont Everest et le Kenchinjunga, dont l’altitude dépasse 8,500 mètres. Au-delà du Gange, il n’y a plus de voies de communication rapides, et le voyage se fait à petites journées. Dans la vaste plaine qu’on traverse, il existe à peine quelques établissemens européens, pas de grandes villes, et seulement des villages d’une malpropreté repoussante ; mais tous les 30 ou 40 kilomètres se trouve un bungalow, sorte de caravansérail créé par le gouvernement au bord de la route pour la commodité des militaires et fonctionnaires civils qui voyagent isolément. Chaque passant a le droit de réclamer asile pour vingt-quatre heures dans l’une des chambres de cet établissement, le gardien indigène lui procure même les alimens que le pays peu fournir ; mais le bungalow est d’ordinaire mal approvisionné, ce qui n’est pas étonnant, s’il est vrai, ainsi qu’on le raconte, que certains voyageurs aient l’habitude de battre, en guise de paiement, le timide et pacifique Hindou auquel ils ont affaire. Après dix ou douze jours de marche, on arrive, sur les bords du Mahanuddy, à une bande étroite de terrain, le Terai, qui est couverte d’épais buissons (jungles) et renommée par son insalubrité. En fait, les Européens n’y peuvent séjourner ; quelquefois même ils sont pris par la fièvre rien qu’à la traverser, comme il arriva à lady Canning, qui y contracta la maladie dont elle mourut. Enfin on est au pied des montagnes ; les pentes en sont si raides et la route est encore si imparfaite, que les voitures ne peuvent aller plus loin. Les bagages ne sont convoyés qu’à dos d’homme. Ces transports sont faits par des coulies, robustes montagnards qui enlèvent des poids énormes et remontent avec leur charge sans fléchir par les sentiers les plus escarpés. C’est aussi au pied des montagnes que commence la culture du thé, qui a reçu beaucoup de développement en ces dernières années. A mesure que l’on s’élève, on sent que la température se modifie. Au lieu d’être brûlante comme dans les plaines du