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GABRIELLE.

Gabrielle n’a jamais menti, monsieur !

TRISTAN.

Oui ! je sais, quand on est furieux contre quelqu’un, on en dit un mal atroce, on croit ne pas mentir, et cependant on ne fait pas autre chose. Si elle ne veut pas de moi, ce n’est pas une raison pour…

GABRIELLE.

Gabrielle ne veut pas de vous parce que vous ne voulez pas d’elle. Elle vous aimait bien autrefois.

TRISTAN.

Mais elle était alors un baby de cinq ans, et moi un gamin de dix. Parce qu’on s’aime à cet âge-là, faut-il fatalement se condamner l’un à l’autre ?… Avouez, mademoiselle, que la vie serait bien monotone, si l’on devait suivre toujours le même sentier.

GABRIELLE.

Gabrielle vous aurait refusé avec plaisir, monsieur, si vous l’en aviez priée gentiment. Ce qu’elle désirait avant tout, c’était vous revoir, se souvenir avec vous du temps passé, et vous offrir une bonne et franche amitié en échange de son affection d’enfance.

TRISTAN.

Moi, je n’aurais pas demandé mieux. Pourquoi ne m’a-t-elle jamais écrit ?

GABRIELLE.

Gabrielle a attendu longtemps, bien longtemps, le moindre mot de vous qui lui permît de vous répondre.

TRISTAN.

Elle n’a pas reçu de lettre de moi ?

GABRIELLE.

Je le crois bien, vous ne lui avez jamais écrit !

TRISTAN.

Voilà ce que c’est que de remettre toujours au lendemain !

GABRIELLE.

Elle ne méritait pas tant d’oubli, convenez-en.

TRISTAN.

J’en conviens.

GABRIELLE.

Elle vous aimait tant autrefois !… Quoique la plus jeune, elle était la plus raisonnable ; bien souvent elle vous empêchait de faire des sottises ; quand elle n’y réussissait pas, elle s’accusait elle-même, pour que vous ne fussiez pas grondé.

TRISTAN.

C’est vrai.

GABRIELLE.

Quand vous aviez cassé vos jouets, elle vous donnait les siens ; elle vous donnait ses bonbons d’étrennes quand vous aviez mangé tous les vôtres.