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TRISTAN.

Je vous écoute.

GABRIELLE.

Connaissez-vous l’histoire de M. de Chambois ?

TRISTAN.

Non.

GABRIELLE.

La voici en deux mots. M. de Chambois, qui n’a jamais eu beaucoup de fortune, aimait les sciences à la folie. Il chercha la solution de problèmes impossibles, et il y perdit, sans s’en douter, le peu qu’il possédait.

TRISTAN.

Quoi ! ruiné ?

GABRIELLE.

Complètement. A la mort de sa femme, il mit sa fille ici, en pension, et se retira à Paris dans un modeste appartement de la rue Cassette. Il allait peu dans le monde et ne recevait personne intimement, si ce n’est son neveu Vermillac, qui s’éprit tout de suite de sa cousine, découvrit bientôt la triste situation de son oncle et y pourvut en glissant chaque mois de l’or dans les tiroirs vides. M. de Chambois comprit qu’il n’avait plus rien le jour seulement où il surprit son bienfaiteur la main dans le sac. Le pauvre homme était désolé pour sa fille d’abord, pour son neveu ensuite. Comment jamais reconnaître tant de générosité ? Marie parut en ce moment ; il saisit au passage un regard de son neveu, il devina tout, « Ah ! s’il est vrai que tu l’aimes, s’écria-t-il les larmes aux yeux, je puis encore m’acquitter. Ma fille est le seul bien qui me reste, prends-la, elle est à toi. » M. de Vermillac n’eut pas la force de dire non.

TRISTAN.

Et Marie ?…

GABRIELLE.

Eut le courage de dire oui ; elle était la reconnaissance vivante de son père. Refuser, c’était en faire un ingrat ; il serait mort de chagrin. Vous ne riez plus ?

TRISTAN, ému.

Non ! pas précisément.

GABRIELLE.

Elle ne m’a jamais parlé de vous… Mais chaque fois qu’elle me parlait de son cousin, je lisais dans ses yeux que sa pensée était à un autre. Que cet autre soit vous, c’est possible.

TRISTAN.

C’est sûr !

GABRIELLE.

Je le veux bien. En êtes-vous plus avancé ? Si je lui remets ce billet, de deux choses l’une : ou elle résistera, ou elle cédera à l’élan de son cœur.