Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de choses inconnues jusqu’alors, cela tient à ce que « celui qui reposait sur le sein du maître (XIII, 25), » comme le maître lui-même repose sur le sein de Dieu, a pu connaître plus et mieux que ceux qui avant lui ont raconté l’histoire du Christ.

Du reste ce n’est pas une histoire proprement dite qu’il entend raconter, c’est un dogme qu’il veut démontrer, car la foi en la vérité contenue dans ce dogme procure la vie éternelle (XIX, 31). Il veut que ses lecteurs apprennent de lui que Jésus est « le fils de Dieu, » non pas au sens simplement moral que cette expression avait parmi les Juifs, mais au sens métaphysique, unique, incomparable, qu’elle avait dans les théories alexandrines, car le Fils pour lui et le Verbe, c’est tout un. Pour démontrer la vérité qui est à ses yeux la plus nécessaire, il reproduira donc un nombre déterminé de faits relatifs à Jésus ou d’enseignemens qui lui paraissent de nature à mettre cette vérité en pleine lumière, et voici comment il procède.

Il prend son point de départ sur les hauteurs de la métaphysique, posant comme évidente la théorie du Verbe de Dieu telle que le judaïsme platonicien d’Alexandrie l’avait élaborée dès le premier siècle de notre ère. Il faut bien le reconnaître, plus les études historiques avancent, plus l’influence de la pensée alexandrine sur le grand changement religieux qui marque les quatre premiers siècles de notre ère se montre vaste et prépondérante. On a eu grand tort de vouloir qu’Alexandrie fût la patrie du christianisme ; mais elle est bien celle du dogme chrétien. Le quatrième évangéliste est un chrétien disciple de Philon. Ce n’est pas seulement une ressemblance de mots, le fond des idées est le même. Philon en effet avait développé l’idée platonicienne du Logos, ou verbe, ou raison de Dieu, de manière à en faire la pensée divine immanente, laquelle, existant en Dieu de toute éternité (λόγος ένδιαθετός), en est sortie, a été engendrée ou proférée (λόγος προφορίχος) en un certain moment de la durée, et qui, renfermant, centralisant en elle-même les idées générales, a façonné d’après elles la matière informe, l’élément ténébreux, anti-divin, éternel aussi, de manière à en faire un monde organisé et rationnel. Il y a donc dualisme dans l’univers, chaque être étant divin dans la mesure où il subit l’action du Verbe, se rapprochant au contraire toujours plus de la matière informe, de la négation, de la mort, en proportion de sa résistance à cette action rationnelle et vivifiante du Verbe divin. L’écho de cette théorie se répercute fidèlement dans le quatrième Évangile. Le Verbe est au commencement des choses, devant Dieu et d’essence divine. C’est bien là le « second Dieu, » le « Dieu par catachrèse, » le « fils premier engendré » de Philon. C’est par son action, continue l’évangéliste, que « tout est devenu. » Qu’on veuille