Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/1060

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous offre en ce genre on ne trouverait pas toujours à opposer, dans nos galeries publiques, des témoignages de la même valeur. Le Louvre par exemple, si merveilleusement riche qu’il soit en chefs-d’œuvre de toutes les écoles, pourrait-il, en ce qui concerne Memling et son talent, nous instruire aussi sûrement que le font ici les deux tableaux du maître appartenant, l’un à M. le comte Duchâtel, l’autre à M. Gatteaux ? Par le nombre et la dimension des figures, par la qualité et la conservation parfaite du coloris, et surtout par la précision des physionomies et des formes, le premier de ces tableaux n’a pas une signification moins complète que les célèbres diptyques de l’hôpital de Bruges ou que les autres peintures de Memling placées aujourd’hui dans les musées de la Belgique. Suivant un procédé de composition à peu près consacré en pareil cas, il représente la Vierge et l’Enfant Jésus assis entre deux figures de saints, — saint Jacques et saint Dominique, les patrons probablement des chefs de la race, agenouillés aux pieds du divin groupe, — tandis que dix-neuf autres membres de la famille, occupant les deux côtés de la scène, forment une succession de lignes étagées jusqu’à un fond d’architecture dont les ouvertures symétriques laissent apercevoir, sous leur aspect familier, les choses et la vie du dehors. Ces sortes de portraits idéalisés par une pieuse fiction, par la présence surnaturelle des personnages sacrés, ces peintures mi-parties mystiques, mi-parties strictement vraisemblables, où la reproduction du fait s’ennoblit au contact de l’image symbolique, abondent, on le sait, dans toutes les écoles primitives. En peignant le tableau dont nous parlons, Memling ne faisait donc que se conformer à une tradition popularisée par les travaux des vieux maîtres italiens aussi bien que par les anciennes œuvres flamandes ; mais là où il se montrait véritablement novateur, là où il réussissait à résoudre un problème que le grand Van Eyck lui-même avait paru craindre d’aborder, c’est dans la délicatesse des intentions partielles, dans le choix des expressions propres à diversifier les détails, sans rompre pour cela l’unité de l’ensemble, sans en compromettre la majesté.

La Vierge de la galerie de M. Duchâtel nous semble, sous ce rapport, un des plus éloquens témoignages qui se puissent rencontrer de l’originalité du maître et de sa rare sagacité. Avec quelle finesse d’observation en effet, avec quel art consommé, les attitudes nécessairement calmes de tous ces personnages et leurs physionomies uniformément pensives ont-elles été rendues ou modifiées suivant le sexe, l’âge, le caractère moral ou le tempérament de chacun ! A la gauche du spectateur, le chef de la race, sérieux, recueilli en lui-même, tout entier à son oraison ; derrière lui, ses fils aînés, sérieux aussi et comme absorbés dans la contemplation d’un objet intérieur ; aux derniers rangs, les jeunes garçons, dont les traits, en faisant effort pour paraître calmes, se souviennent involontairement du sourire et laissent la vie ingénue déborder et s’épanouir sous l’extérieur de la circonspection. A droite, du côté des femmes, même décroissance dans