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premier jour, s’était déclarée contre l’authenticité, l’école de Tubingue[1]. Celle-ci avait transporté le débat sur un terrain moins encombré de détails ambigus ou d’argumens à double tranchant. Il ne s’agissait plus désormais de promener le microscope sur tous les petits faits qui pouvaient militer pour ou contre la thèse traditionnelle. En critique comme à la guerre, ce n’est qu’à la condition de lancer de grosses masses sur les points disputés qu’on remporte la victoire. L’école de Tubingue posait ainsi la question : quelle place le quatrième Évangile tient-il logiquement dans le développement de la pensée chrétienne aux deux premiers siècles ? Ainsi formulé, le problème ne pouvait plus guère se résoudre dans un sens conforme aux vœux des conservateurs, car, il était facile de le montrer, le quatrième Évangile suppose que toute une période de l’histoire ecclésiastique appartient déjà au passé. La philosophie, la gnose, habitent déjà l’intérieur de l’église. La querelle passionnée entre les disciples de Paul et les partisans de Pierre paraît apaisée. D’autres problèmes sont agités, d’autres intérêts sont en jeu : on est décidément au second siècle, et non plus au premier. C’est en partant de ce point de vue général que le célèbre chef de l’école, le Dr Baur, revint à l’étude minutieuse des phénomènes internes du quatrième Évangile, et parfois avec trop de subtilité, le plus souvent avec une rare justesse de coup d’œil, il exposa tous les motifs qui le portaient à affirmer que, bien loin de raconter une histoire concrète, l’auteur avait voulu surtout illustrer une série de thèses spéculatives en les déroulant sous forme de récits de la vie de Jésus. En même temps Baur et ses laborieux élèves reprenaient pour leur compte un dilemme passé à l’état d’axiome dans la critique biblique et ainsi conçu : la tradition donne l’apôtre Jean pour l’auteur commun de l’Apocalypse et du quatrième Évangile ; or il est moralement impossible que le même homme soit aussi foncièrement judæo-chrétien que l’auteur de l’Apocalypse et aussi cordialement hostile au judaïsme que l’auteur du quatrième Évangile ; donc il faut choisir entre les deux livres et n’en attribuer qu’un à l’apôtre. — Jusqu’alors les partisans de l’authenticité, profitant de l’impopularité de l’Apocalypse, avaient tranquillement conclu en faveur de l’Évangile. Baur se prononça en sens contraire : il argua du triple fait que l’Apocalypse répond entièrement au caractère et aux idées de l’apôtre Jean tel qu’il nous est connu par d’autres sources, qu’elle porte avec elle la date certaine de sa composition aux temps

  1. Le mérite, l’originalité de cette école fut surtout l’organisation des membra disjecta de la tradition sur les origines du christianisme en une vaste synthèse régie par les mêmes lois qui partout ailleurs président aux développemens et aux variations de la pensée humaine. On peut voir d’ailleurs sur l’école de Tubingue l’étude qui lui a été consacrée dans la Revue du 1er mai 1863.