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à toutes les tentations et qu’il craigne aussi peu d’importuner les gens par ses sollicitations que de les désobliger par ses refus ? Rien de plus nécessaire pourtant, sans quoi, là où il s’agissait de la gloire des maîtres et, jusqu’à un certain point, de notre honneur national, on n’aura réussi qu’à satisfaire quelques amours-propres ou à favoriser sans le vouloir l’esprit de spéculation.

Nous ne prétendons pas, tant s’en faut, désapprouver la tentative faite aujourd’hui ni en contester les mérites : elle aura eu du moins cette utilité de servir d’occasion ou de point de départ aux perfectionnemens qui pourront suivre. Ce que nous voulons dire seulement, c’est que ce premier essai, forcément incomplet, a plutôt le caractère d’une promesse que l’importance d’un résultat une fois acquis. On serait mal venu à chercher dans l’exposition actuelle un ensemble équivalent, pour les richesses privées de notre pays, à ce qu’était, il y a quelques années, l’exposition de Manchester pour les trésors d’art conservés en Angleterre. Sans parler de ce qu’on pourrait obtenir des départemens, les collections particulières formées à Paris auraient un bien autre contingent à fournir, et si, comme il y a lieu de l’espérer, l’épreuve se renouvelle prochainement dans des conditions à la fois plus précises et plus larges, si, à l’époque de l’exposition universelle, on entreprend de rapprocher tous les morceaux d’élite disséminés dans les cabinets et les galeries des amateurs, nul doute que cet inventaire public d’objets familiers jusqu’ici à quelques regards privilégiés ne devienne un véritable bienfait pour les uns, un titre d’honneur pour les autres, un encouragement et un bon conseil pour tout le monde. Que de nobles ouvrages emprunteraient ainsi du succès populaire une consécration nouvelle et un surcroît d’autorité ! Depuis la Vierge dite de la maison d’Orléans, ce chef-d’œuvre de Raphaël dont la gravure permet à peine de soupçonner la mélancolie exquise et la délicatesse, jusqu’à cet admirable Paysage aux deux Nymphes de Poussin, qui enrichissait récemment une collection où le goût et le savoir du possesseur avaient déjà réussi à introduire plus d’un tableau de premier ordre, — jusqu’à cette autre toile inestimable du maître, les Ruses de l’Amour, que la mort de Poussin a laissée inachevée et que des mains pieuses ont recueillie de notre temps, — quelle riche série d’enseignemens et d’exemples n’arriverait-on pas à composer ! N’eût-elle d’autre résultat que d’informer les étrangers du nombre de belles œuvres que la France possède en dehors de ses musées, une pareille entreprise ne serait encore ni sans avantage, ni sans portée. Notre orgueil patriotique y trouverait son compte, et la bonne renommée du goût français s’en justifierait, s’en confirmerait d’autant mieux.

Quoiqu’il en soit, et sous les réserves que nous avons indiquées, cette exposition rétrospective ne laisse pas de présenter un intérêt sérieux. Dans la partie qui résume les progrès de l’art flamand au XVe siècle, elle a même une importance tout à fait considérable, puisque aux spécimens qu’elle